En 1990, Pavel Lounguine décrochait le Prix de la mise en scène à Cannes avec Taxi blues, son premier film, dans lequel il opposait l’ancienne Russie à celle d’après la dissolution du Bloc soviétique à travers l’amitié d’un chauffeur de taxi et d’un musicien de jazz. Dix ans après, comme nombre de ses compatriotes cinéastes dont la carrière chevauche les deux périodes, il s’interroge encore sur la cohabitation de générations aux références politico-culturelles en porte-à-faux et sur le devenir d’une Russie déstabilisée par la perte de ses repères idéologiques.

Ce film est particulièrement révélateur de cette préoccupation puisque, avec pour alibi la fête de mariage d’un jeune couple dans un village minier, il oppose principalement une cohorte de personnages se définissant tous plus ou moins par leur rapport à l’ancien régime ou, a contrario, par leur affiliation à un nouvel ordre moral et social plutôt confus. La critique d’un socialisme qui n’avait de visage humain qu’en théorie est aujourd’hui de mise et le réalisateur s’en donne à cœur joie dans la caricature du père du marié, ancien héros du peuple, ou du chef de la police locale. Le seul ennui pour Lounguine est que sa satire est en retard d’une vingtaine d’années sur Milos Forman qui, autour d’un thème voisin, signait en 1967 un autrement plus corrosif et risqué Au feu les pompiers !

Sa comédie n’en perd pas pour autant tout intérêt, mais se limite rapidement à une succession frénétique de scènes burlesques, noyées sous les dialogues et l’hystérie de l’interprétation qui, suivant la tradition slave, en rajoute dans l’abattage et la fébrilité. La tête tourne vite et les oreilles finissent par se fatiguer face à cette débauche de prises de bec névrotiques, d’engueulades en tous genres et d’assourdissantes accolades. Et si ce banquet cacophonique possède une logique scénaristique, sa mise en scène, elle, n’a ni la finesse ni l’éclat comique requis par ce type de spectacles. A trop vouloir forcer le trait, Pavel Lounguine en oublie de regarder proprement ses personnages : il les filme en mouvement, les laisse s’agiter et s’entrechoquer en une sorte de valse à mille temps de pantins imbibés de vodka. Du coup, le spectateur reste extérieur à cette représentation quasi théâtrale et ne peut que bouder une Noce à laquelle il n’a pas l’impression d’avoir été convié.