Nul n’a oublié le premier film de Lucrécia Martel, devenue d’emblée, à la faveur de ce coup de force, la tête de liste de ce fameux jeune cinéma argentin dont on ne cesse de vanter les mérites. La Ciénaga, chronique familiale disloquée quelque part dans les broussailles nord argentines, témoignait d’une affolante maîtrise narrative faisant s’entrecroiser, s’emmêler plutôt, polyphonie écorchée, dispersion embuée de la parole et altercation ramollie par l’humidité boueuse entre les personnages et des décors déliquescents. S’y plantaient par la même occasion une série de motifs que La Niña santa, aujourd’hui, s’emploie à creuser : la moiteur, les piscines emplies d’eaux troubles comme centre névralgique du récit, les tourments sexuels naissants ou assoupis, les glissement des générations les unes contre les autres. Avec sérieux, le second film de Martel les convoque à nouveau, mais de manière plus resserrée, sensiblement asséchée. Avec un sérieux appliqué qui n’interdit pas d’être perçu comme le désir légitime d’être à la fois à la hauteur des attentes suscitées et de se poser comme auteur, c’est-à-dire poursuivre, sans déviance, l’exploration d’une « thématique ». Cela ne va pas sans une étroitesse dans l’exécution au final nuisible au film, moins spontané, plus calculé que son prédécesseur, assez inférieur en bien des points.

La Niña santa reprend donc l’architecture de base de la jeune Martel’s touch : personnages trempés à la nervosité engluée, en proie aux lents appels angoissés de la chair, pataugeant dans leur conditionnement socio-religieux plus ou moins affirmé. Lieu unique : un hôtel de province où se tient un congrès de médecins. La « niña santa » du titre, Amalia, habite cet hôtel avec sa mère divorcée. Imprégnée d’une foi chrétienne avec lequel le film prend ses distances sans la tourner en dérision, elle est le centre d’un petit manège érotique depuis que l’un des médecins de passage s’est frotté contre elle en pleine rue. Chuchotements, baignades alanguies, gênes et désirs rongés se mêlent, comme l’histoire fantasmée d’un dépucelage à distance, sans contact ou presque, que la cinéaste traque sur le visage buté de l’adolescente. Dans cette entreprise lubrifiée où tout -même le trouble, le flou qui font le prix de cet univers en phase de maturation- est soigné à l’extrême, le désir le plus visible est surtout celui de la cinéaste, dont l’offre semble pensée pour coller à la demande d’un public festivalier, avide de garantie quant au standing auteur de ses jeunes chouchous.