Au-delà de l’incongruité du projet, La Grotte des rêves perdus suscitait une légitime appréhension : crainte que le sujet (l’exploration, exceptionnelle, de la grotte Chauvet, qui abrite des peintures rupestres parmi les plus anciennes jamais découvertes) ne se présente par la seule voie du pédagogisme, peur que le film n’ait pour seul destin que les rayons DVD des collèges, comme annexe arty d’un cours d’histoire-géo. De fait, le poids du didactisme est parfois un peu écrasant pour cet objet de recherche avalisé par les autorités (Herzog aurait offert ses services au Ministre de la Culture pour pouvoir entrer dans la grotte). D’autant qu’Herzog ne s’épargne pas la solennité du pionnier des bas-fonds. Avec son alignement d’avis experts, ses récapitulatifs verbeux et pontifiants, ses fautes de goût techniques (laisser les intervenants se doubler eux-mêmes n’était pas forcément une bonne idée), le film multiplie les tocs du documentaire éducatif. Curieuse démarche chez le cinéaste, dont les manies iconoclastes et ironiques, qui illuminaient Grizzly man, semblent ici submergées par sa jubilation à jouer les guides touristiques de l’impossible.

Ces quelques défauts ne sauraient néanmoins masquer la réussite du projet. Son ambition d’utiliser la 3D a notamment le don de transcender tout protocole intellectuel. Au même titre que Wenders et son Pina, il se révèle un des meilleurs ambassadeurs du relief, l’un des rares à y trouver un enjeu de mise en scène. Outre l’idée remarquable de créer un oxymore visuel constant (filmer le geste proto-artistique rupestre avec une technique de cinéma des plus en vogue), le documentaire se révèle pour Herzog une vraie récréation, jouissive et contagieuse. Aussi mécanique que saisissant, chaque plan de peinture saisi par le relief provoque, dans un remarquable travail de travellings, une illusion de mouvement de ces figures, à partir desquelles se déploie alors un imaginaire inattendu. Si Herzog frôle parfois la naïveté dans son envie de figurer la grotte comme une nouvelle Caverne, berceau des arts et de la spiritualité humaine, ses talents de bonimenteurs l’emportent quand il entreprend de sublimer ce spectacle inaccessible. L’intention réelle (et bouleversante) semble finalement ce caprice de cinéphile, cherchant à recréer une séance de cinéma à six pieds sous terre, sur le mode de la lanterne magique. Outre le bestiaire d’intervenants illuminés convoqués par Herzog (un collectionneur de flutes-os d’animaux, un parfumeur), les obsessions du cinéaste ne tardent pas à trouver leur place – la passion des icônes, l’exploration téméraire et romantique de nouvelles frontières, fussent-elles logées dans les entrailles de la terre. Entre synthèse éclair de l’évolution humaine et oracle délirant à grand renfort de reptiles (Bad lieutenant n’est pas loin), son épilogue dérive peut-être vers l’auto-théorie superflue. Mais qui aurait pu deviner qu’après avoir parcouru le monde entier, et risqué sa vie, en quête d’absolu, Herzog dévoilerait sa plus belle coquetterie cosmologique au fin fond d’une grotte ardéchoise ?