Un homme, ou le corps d’un homme, immergé dans l’eau d’une rivière, s’ébat ou se débat : les premiers plans de La Fin du règne animal fondent Noël (Bruno Lochet) dans l’élément aquatique, au point que l’on se demande s’il se baigne et s’ébroue dans l’eau fraîche ou s’il s’y noie. Sorte d’idiot du village vivant des rentes de sa vigne et n’ayant pour amie qu’une fillette -sa nièce-, Noël considère les différents règnes comme des espèces d’égale importance, et souffre du sort calamiteux que l’homme moderne inflige à ses cousins : pour lui, les animaux méritent amour, protection et sépulture (il enterre un à un dans son jardin des oiseaux morts). Soit machines (les animaux d’élevage), soit jouets (les animaux domestiques), les bêtes n’ont selon Noël pas la place qu’elles méritent chez les hommes, même à la campagne. Nous aurions même à apprendre des minéraux, comme il le montre à Olivia (Hélène Fillières), l’institutrice de sa nièce dont il tombe amoureux et dont il enduit le corps en maillot de bain de glaise bienfaisante… Citadine bêcheuse et rationaliste, celle-ci demeure aveugle aux miracles du monde vivant qu’il voudrait lui communiquer.

Heureusement, le propos bio du film n’est pas recyclé en profession de foi new age ; c’est à l’intérieur de chaque plan que Joël Brisse capte les différents règnes qui cohabitent tant bien que mal sur terre, au ras des perceptions de Noël l’hypersensitif. Les humains sont bien sûr inclus dans son « écoute animale », notamment ceux qui ne parlent plus, proches alors des bêtes, comme sa vieille mère à l’agonie dont il prend les mains, encore porteuses d’un flux vital que son entourage néglige. Alors que le couple Noël-Olivia aurait donné lieu à un intéressant hybride cinématographique, le scénario conserve entre eux la distance pour préserver à tout prix l’étrangeté de Noël. Olivia redoute cet homme mi-médium, mi fou qui se met volontiers à dos tout le village en lançant aux oublieux agriculteurs ses imprécations écolos : « vos enfants auront trois têtes ! ». Lorsque l’attitude du protagoniste tourne au fait divers, le propos panthéiste de La Fin du règne animal semble alors se figer, et son intrigue tourner au prétexte. Noël -Noé (ou un Saint-François d’Assise) désespéré- rassemble les animaux dans son étable désaffectée pour un vaste holocauste qui les soustraira à la barbarie des hommes. Le prix de cette radicalisation du personnage et partant, du propos du film, c’est son aliénation à tous les autres qui mène à une impasse sociale mais aussi narrative. Puisque le titre programmait une « fin », il fallait bien « finir »… -l’apocalypse tire hélas sa nécessité de l’absence de réelle colonne vertébrale du scénario.