Expérience de cinéma peu commune, le nouveau film de Benoît Jacquot ressemble à une proposition -de texte, d’acteurs, de visages. A l’origine du projet, une pièce de Marivaux (La Fausse suivante, donc) et un désir de rencontre entre Isabelle Huppert et Sandrine Kiberlain. Il n’en faut pas davantage à l’auteur de La Fille seule pour très vite mettre en place un tournage. Afin de résumer quelques-uns des enjeux marivaldiens, précisons : La Fausse suivante a pour héroïne une jeune fille (Sandrine Kiberlain) travestie en chevalier pour un motif qui demeurera mystérieux jusqu’au dénouement, mais dont la teneur n’est pas étrangère à une comtesse (Isabelle Huppert) et son futur époux (Mathieu Amalric). L’aspect « farce » est quant à lui assuré par deux valets aussi cupides l’un que l’autre (Pierre Arditi et Alexandre Soulié).

Parce que le geste et l’envie importent plus qu’un quelconque souci de perfection, La Fausse suivante s’offre dans sa nudité : équipe légère, texte presque « filé », et absence de décors (les comédiens se produisent dans la salle vide et sur la scène aux rideaux fermés d’un théâtre parisien). La réalisation est à l’unisson, discrète et modeste, simplement à l’écoute des mots et au service des interprètes. C’est d’ailleurs ce que l’on pourrait reprocher à Jacquot : le manque d’audace dans le développement de son idée, la faiblesse du traitement, la pauvreté visuelle des images. Comme si le cinéaste s’ingéniait, outre les premières minutes d’interrogation, à ne jamais surprendre, jamais sortir de sa ligne directrice -voir au plus près comment joue, « se comporte » un acteur. Et si La Fausse suivante devient, au fil des échanges et des intrigues, un beau film, cela ne tient qu’à eux et à la superbe de la pièce, condensé de cocasserie et de tragique, d’identités usurpées et d’amours déçues, voire de passions insolubles. Là où l’essai de Jacquot se démarque du banal théâtre filmé, c’est dans son appréhension attentive et pleine d’amour du geste, du regard, de ce que produit une certaine prose sur certains corps et certains visages. Puisque, par exemple, seule Huppert pouvait donner cette intensité à la comtesse (mais c’est aussi valable pour tous les autres), La Fausse suivante se révèle peu à peu comme un opus nécessaire.