Il n’est plus temps, depuis belle lurette, de dire à quoi carbure la mécanique d’un vieux briscard comme Chabrol. Les films enchaînés comme les briques d’un mur, un par an, sur un rythme paradoxal que l’on devine tout sauf stakhanoviste. Au contraire, malice derrière les grosses lunettes, l’homme aux 50 films ne fait pas dans la sueur : la preuve, l’an dernier, avec La Fleur du mal, film souvent méprisé qui pourtant témoignait d’une vitalité pépère mais costaud. Pour continuer la footeuse métaphore entreprise alors, La Demoiselle d’honneur est une sorte de relégation en ligue 2 que l’on sait provisoire. C’est la loi du sport : Chabrol n’ira jamais jouer au Qatar, même s’il semble s’accommoder d’un banc de touche qu’il cire plus ou moins brillamment depuis La Cérémonie (parfois, ses entrées sont décisives : Merci pour le chocolat en est le dernier exemple).

Reste cette Demoiselle, palpitante comme un Besançon / Louhans-Cuiseaux disputé sous une pluie d’automne. Sans doute l’impression DH du film tient-elle à un petit déplacement : non plus cette France des bourgeois petits et grands que le cinéaste aime tant croquer tout cru, mais une France pavillonnaire où les personnages ont pour profession coiffeuse à domicile et VRP en carreaux de salle de bains. C’est peu dire que Chabrol force le trait, avec une inhabituelle balourdise. Veste grise sur pull beige de Magimel, Lecoq en grobeauf pilotant une jag dans les faubourgs nantais, beau-frère du héros sapeur et peloteur, franchement grotesque. S’y lit le désir, pas super élégant, de se tourner vers la France d’en bas comme on se tourne vers la petite forme. Sans renier le plaisir toujours nouveau de filmer les escaliers ou d’entamer une énième variation sur L’Inconnu du Nord-Express autour du thème du pacte meurtrier -histoire de raccommoder comme on peut la métaphysique hitchcoco-langienne aux cravates moches des mariages en salles des fêtes.

Mini-Chabrol, donc, pourtant sur la base d’un scénario adapté d’un roman de Ruth Rendell (l’auteur de La Cérémonie) où Benoît Magimel tombe dans les griffes douces d’une jeune femme rencontrée au mariage de sa soeur (la demoiselle d’honneur, c’est elle), qui dès la première étreinte lui déclare qu’il est l’homme de sa vie, et que la seule manière de prouver son amour est de commettre un crime. Grimace sans relief de vieux singe, le film se noie très vite dans un ronron grisâtre, exécuté sans inspiration. Mais parce qu’on y sent le même plaisir de mise en scène -fût-elle derrickienne par moment-, nul doute que cette Demoiselle d’honneur précède une mariée un peu plus en beauté qu’elle.