« Je suis communiste ! Je suis pour l’abolition de la propriété privée ! » ; « J‘espère qu’à l’avenir personne ne dira : on n’est pas communistes !, comme l’on dit aujourd’hui, on n’est pas bolcheviques ! ». Ainsi s’expriment les militants du PC italien filmés par Nanni Moretti en 1989 dans La Cosa. Le mur venait de tomber, l’Est s’ouvrait et le PCI s’engageait dans de grandes réformes sous la houlette de son secrétaire général, Achille Ochetto.
La première réaction face à ce film est un véritable étonnement : le débat engagé par les militants dans toute l’Italie est incroyablement pertinent. Toutes les questions concernant le parti, son rôle, son organisation, son passé, son avenir, ses dirigeants, sont abordées directement, sans aucune langue de bois. Chacun, vieux communiste ou jeune adhérent, intellectuel ou ouvrier, Italien du Nord ou du Sud, offre son point de vue à l’assemblée. Parmi eux se tient le réalisateur, qui reçoit simplement leur parole, leur colère, ou leur émotion. Nous sommes en Italie et le verbe y est plus vivant qu’en France, plus imagé, plus « visuel » finalement… et « La Res politica », la « chose politique », en devient vibrante, presque palpable.

Le dispositif utilisé par Nanni Moretti pour tourner La Cosa est minimaliste : des plans fixes sur les personnes qui prennent la parole et un montage des interventions qu’il juge « les plus fortes et les plus belles ». Mais son efficacité est là justement, dans cet effacement du réalisateur -qui intervient par ailleurs physiquement dans ses autres films (Palombella Rossa, Journal intime, Aprile…). Absent de l’image et de la bande son, Nanni Moretti prend pour médiateurs tous les militants filmés afin de rendre sensible la complexité de l’engagement politique.

Enfin, le film possède une dimension qui dépasse largement le cadre national. La véritable question qui traverse La Cosa est exprimée par une militante : « que faire des 40 ans d‘histoire du communisme ? ». Au-delà du changement de nom ou de forme du PCI, son implication dans les « erreurs » commises par les régimes totalitaires ne peut être effacée. Comment continuer à se déclarer « communiste » après l’échec fracassant des régimes de l’Est ? Un tel débat n’est pas propre à l’Italie, mais s’applique à tous les partis communistes des pays démocratiques. Au PCF par exemple…
La réussite de La Cosa prouve que l’acuité du regard de Nanni Moretti est toujours aussi intense, qu’il le porte sur lui-même ou, comme ici, sur les autres.