Le film s’ouvre sur le rappel des premiers attentats de 1954 menant à la guerre d’indépendance. Et se rend sur les lieux, plus de cinquante ans après, espérant prendre, comme on dit, le pouls du pays. Film sur la mémoire ? La Chine est encore loin, effectivement, revient à plusieurs reprises sur l’attentat et interroge pour ce faire les quelques témoins restant. Film sur l’éducation, et l’enfance ? Sur les pas d’Etre et avoir ou Entre les murs, La Chine est encore loin s’installe dans une salle de classe, enregistre les cours et ses à-côtés. Désireux de ne pas s’enfermer dans l’institution, il s’en échappe, souvent, pour dépeindre le village et s’entretenir avec les habitants. Le film prend ainsi la forme d’un va-et-vient un peu lâche, mais séduisant, entre l’école et le reste du village. Certes la forme n’a rien de renversant : ce n’est pas Jia Zhangke, chez qui le moindre entretien devient du cinéma. Les choix de mise en scène sont ici plus quelconques (cadrages au cordeau, esthétique un peu forcée). Et pourtant se confirme ici le talent si singulier de Bensmaïl – après l’extraordinaire Aliénations – à travers ces tranches de vie, ces courtes scènes touchantes et souvent drôles, révélant un docu élaboré derrière son apparente modestie.

Bien sûr, et même s’il serait absurde de l’y réduire, le film sera surtout attendu sur son discours sur la guerre d’indépendance et sa mémoire. En ces temps de crispation identitaire en France, où se multiplient les projets aberrants (sommet : l’adoption d’enfants juifs morts dans les camps…), Malek Bensmail adopte une réponse nuancée et légèrement désinvolte : la salle de classe écoute distraitement le récit des évènements de 54, plus occupée par la chanson de variété et l’excursion à venir. Les deux trois cigarettes fumées clandestinement y comptent plus que la commémoration rébarbative de la révolution. Un peu facile, sans doute, cette posture de gentil cancre. Mais au fond, non, cancre ne convient pas : si le cinéaste ne partage manifestement pas la fougue pédagogique de l’instituteur, qu’il observe avec un détachement amusé, il se montre tout de même soucieux de transmission, et touché par les témoignages d’anciens élèves et vieux combattants. A ce moment, on peut se demander si le film n’est pas un peu léger, sur la dureté de la guerre, trop vite dans la nostalgie (ah le demi-sourire de l’institutrice française…), un peu élusif sur la responsabilité du colonisateur. Ce serait oublier que le terreau du film est algérien, qu’il s’agit de comprendre comment le pays vit avec ces évènements, non de s’interroger sur les fautes de l’Etat français. Et que si le contenu des manuels scolaires est encore trop souvent lénifiant et partiel ici, l’historiographie de la révolution là-bas reste en général plus hagiographique que véritablement critique. A ce titre la vision apaisée du film s’avère infiniment séduisante : une société où le passé passe, où la mémoire se veut transmission discrète plutôt que carcan. Mine de rien, Malek Bensmail vient peut-être de réaliser le film le plus optimiste du moment.