La distribution des films italiens en France est un drôle de marché à deux vitesses. D’un côté les vitrines qui écrasent tout sur leur passage (Nos meilleures années, Respiro), de l’autre un étrange melting-pot fait de petits pots aux roses folkloriques (de Pain, tulipes et comédie à L’Ultimo baccio) et d’oeuvres beaucoup plus singulières. L’Isola fait partie de cette dernière catégorie, de loin la plus intéressante, et fait suite dans sa recherche d’une esthétique de l’épure et de la sobriété au récent et magnifique Tornando a casa. Si bien que derrière l’artificielle célébration d’un cinéma italien désuet et académique (celui d’un Pupi Avati), et en dehors des exceptions (Bellocchio) gonfle de plus en plus cette certitude : le retour au néoréalisme demeure la seule issue d’une vraie reconstruction de la cinématographie transalpine.

Turi et Teresa, frère et soeur, vivent dans une petite île de Sicile et leur père est pêcheur. Le premier, fragile et maladroit, doit bientôt faire face à l’épreuve suprême : participer avec son père à la pêche au thon, la mattanza. La seconde quant à elle ne vit que dans l’admiration de son frère et rêve elle-aussi de rompre la petite bulle d’autarcie familiale dans laquelle elle évolue depuis toujours. A la fois trop sensibles et trop mûrs pour leur âge, les deux adolescents vont aller d’expériences en désillusions pour découvrir le monde des adultes. Beaucoup des thèmes abordés ici ne sont guère nouveaux : description d’une insularité étouffante, tentation du réalisme magique (les gestes de tous les jours filmés comme des rituels ancestraux), éternelle opposition entre le poids des traditions et l’âge du désir et des libertés acquises au prix de ruptures décisives. Costanza Quatriglio, pour son premier long, n’en revient cependant pas à une mise en scène attendue, celle d’un Respiro par exemple, dont le sujet n’est pas éloigné, mais préfère un style abstrait et symbolique, où le réalisme des décors (la terre de tuf, roche poreuse, cernée par la mer infinie) enclenche une litanie proche du fantastique.

Il faut voir comme est filmée la procession finale, entre hypnose et célébration documentaire des ressources de l’île, pour comprendre que ce qui se joue ici est moins la recherche d’une alchimie (le sacro-saint retour du documentaire dans la fiction) que son dépassement par un cinéma délesté de toute artificialité. La dramaturgie lente et progressive du film, avançant pas à pas, instaure un climat de mélodrame refoulé, proche de l’immobilité, où les événements adviennent sans que jamais le dispositif de la mise en scène ne se mette à jour. Tant de précision et d’organisation souterraines, tant de refus du m’as-tu-vu exotique sont le signe d’une maîtrise absolument sidérante. Devant la beauté calme d’un tel film demeure la grande question, finalement assez peu importante, des capacités de ce jeune cinéma italien de l’ombre à perdurer dans le temps : fulgurance sans lendemain ou vraie ouverture vers l’avenir ? Comme Tornando a casa, L’Isola garde pour lui ce beau mystère des premiers films entêtants.