The Right Stuff (littéralement « le bon truc », mais la traduction française est habile) est à peu près la seule fresque aérospatiale du cinéma américain. Cette adaptation du roman de Tom Wolfe a encore de quoi impressionner en ces jours où l’action pyrotechnique et numérisée occupe l’essentiel du cinéma d’aventure. Débutant par les efforts d’un groupe de pilotes d’essai à la fin des années 40 pour passer le mur du son, et finissant avec la mise en orbite de John Glenn en 1961, L’Etoffe des héros retrace de façon presque documentaire les étapes de la conquête de l’espace. C’est aussi le portrait d’une génération de héros souvent restés dans l’ombre de leurs propres exploits. On part ainsi de Hawks et de Ford (l’élan épique, la fraternité virile et les grands espaces) pour atteindre la rêverie stellaire, rappelant le Kubrick de 2001. Pendant trois heures quinze minutes, on est pris par un spectacle intense et chaleureux, dont l’efficacité visuelle et narrative est restée à peu près intacte. S’il comporte sans doute les plus belles séquences aériennes jamais tournées (rien à voir avec la mitraille en looping façon Top Gun), la grande force de L’Etoffe des héros est de préférer la dimension humaine de l’exploit à ses détails techniques. Ce qui n’empêche pas certains aspects, plus « politiques », de paraître lourdauds, comme cette querelle entre les astronautes (susceptibles) et les scientifiques de la Nasa ; ou encore l’étrange apparition, d’un comique presque grotesque, du président Lyndon Johnson, prétexte à une caricature maladroite. Le film, sorti en pleine campagne électorale -John Glenn était alors candidat-, ne connut d’ailleurs qu’un demi-succès aux Etats-Unis car on lui prêta un peu abusivement un message politique. Il est quoi qu’il en soit moins efficace dans ces petits à-côtés, ceux-ci offrant une lecture parfois simpliste de l’histoire.

L’aspect sentimental, en revanche, est plus réussi : comme la très belle et symbolique poursuite à cheval entre Yeager (Sam Shepard) et sa femme. Chuck Yeager est d’ailleurs un personnage marquant, entre le chevalier volant de Seuls les anges ont des ailes, et les héros de John Huston, victorieux jusque dans l’échec, mélancolique et romantique à la fois. Les passages montrant John Glenn (Ed Harris) discutant avec sa femme muette sont tout aussi touchants, simplement et modestement écrits, parfaitement insérés dans l’architecture générale du film. Il est vrai que le souffle épique qui caractérise L’Etoffe des héros n’entrave jamais le réalisme de la reconstitution et la vraisemblance des personnages (disons que ces deux attraits du film découlent naturellement l’un de l’autre), ni la lucidité quelque peu désenchantée que sous-tend le récit. Les dernières scènes, ainsi que l’épilogue, tirent leur beauté d’une amertume prononcée, de plus en plus sensible vers la fin du film, contrastant avec l’enthousiasme qui résulte des performances des astronautes. Eux-mêmes ressentent la dérision de leur situation, assistant au numéro d’une danseuse de charme à une fête donnée en leur honneur tandis que Yeager tente de battre au péril de sa vie un ultime record en jet.
Revivifiant les mythes de l’Amérique conquérante tout en portant un regard critique sur son engagement dans l’ère technologique, Kaufman a créé une épopée captivante, ignorant superbement les poncifs hollywoodiens et devançant (sauf sur le plan commercial) Spielberg et Lucas qui, à l’époque, cherchaient eux aussi une nouvelle voie. L’ampleur, l’originalité et l’inspiration de L’Etoffe des héros frappent encore le spectateur. Du moins celui qui, malgré les prouesses en tous genres que permet la technologie dans le cinéma, sait encore reconnaître le véritable exploit.