On attendait beaucoup du nouveau film de Philippe Lioret depuis le magnifique Mademoiselle, bloc de sensualité à l’élégance subtile et raffinée et rare contre-exemple dans le fade naturalisme académique à la française de ces dernières années. L’Equipier, s’il confirme par à-coups ce talent, est une semi-déception. La faute à une intrigue très épaisse, loin du fil extrêmement limpide de son précédent film. Au cours d’une nuit passée sur l’île de Ouessant, Camille découvre un secret familial vieux de plus de vingt ans : en 1963, un homme venu sur l’île deux mois pour garder le dangereux phare de La Jument a laissé des traces indélébiles…

Le film semble d’abord plombé par une structure très scolaire : scènes au présent qui encadrent la narration, flash-back laborieusement amené, strates dramatiques cimentées à la truelle. S’ajoute à la première partie, retrouvailles entre mère et fille, un côté cinéma de mamie aux relents post-Sautet des plus éprouvant : goûters-confiture de fraise dans la vieille maison familiale, clins-d’oeil complices, mimiques complaisantes, retrouvailles larmoyantes appuyées par des dialogues lourds de sens (la dialectique Paris / province, jeunesse / vieillesse, etc.). Puis vient enfin la sève du récit, toute l’histoire de 1963. Si là encore les personnages semblent tous marqués par une absence criante de nuances (le gentil Antoine / Grégori Derangère face au rugueux Yvon / Philippe Torreton, coeur d’or sous un regard de pierre, Emilie Dequenne larguée du film sans crier gare), la mise en scène de Lioret trouve enfin de quoi emballer la machine à émotions. De manière maladroite parfois (toutes les premières scènes dans le phare), mais avec une telle croyance dans son feu romanesque que l’ensemble finit par écraser toute résistance.

Surtout, la toujours sublime Sandrine Bonnaire, qui s’éprend secrètement d’Antoine, donne au film une énergie sensuelle que la caméra de Lioret, toujours habile à saisir désir irrépressible et tension amoureuse, fait croître de manière exponentielle. La scène clé du film passe évidemment par elle (lorsqu’elle pousse Antoine à réagir avant de l’emporter dans une étreinte fougueuse et désespérée). Alors L’Equipier laisse éclater les qualités du cinéaste jusque dans sa dernière partie, hitchcockienne et cathartique, au coeur d’un phare livré à la colère de l’océan. Cette fougue-là, loin du romanesque bonne maman qui enserre parfois le film de trop près (les toutes dernières séquences, extrêmement pataudes), suffit à rallumer la foi en un cinéaste dont l’évidence du talent devrait seulement s’affranchir d’un désir de bien faire parfois encore un peu trop empesé.