Adaptation du roman homonyme d’Alberto Moravia, L’Ennui est un objet singulier qui permet à Cédric Kahn de s’imposer comme l’un des rares jeunes réalisateurs français intéressants de notre temps. Martin (Charles Berling), professeur de philosophie à la dérive, lie connaissance dans des circonstances étranges avec Meyers, peintre d’une cinquantaine d’années (interprété par le génial cinéaste Robert Kramer). Quelques jours plus tard, Martin apprend en se rendant à l’atelier de l’artiste que celui-ci est décédé. C’est alors qu’il rencontre Cécilia (Sophie Guillemin, dont le jeu atone fait d’elle l’interprète idéale du personnage), maîtresse du mort, avec laquelle il va débuter une liaison tourmentée…
Ce qui intrigue d’emblée dans L’Ennui, c’est l’incursion d’une figure féminine inédite. Cécilia est en effet un personnage d’une platitude totale, mais dont le mystère reste en même temps entier, puisqu’elle ne révèle rien, ne laisse rien transparaître de ses sentiments, ce qui fait d’elle un réel problème pour Martin. Et si le spectateur rit du désir forcené qu’a ce dernier de percer à jour le mystère de la jeune fille alors que celle-ci se mure dans une opacité toujours plus grande, c’est d’un rire jaune et inquiet. Car les questions que se pose Martin sont propres à tous les couples : qui est l’Autre? Comment se l’accaparer ? Et surtout comment le réduire à sa propre perception pour mieux être maître du jeu amoureux ? Mais Cécilia, elle, échappe aux réponses définitives : est-elle le fruit de l’imagination de Martin, qui cherche à écrire un livre ? Est-elle le sexe à l’état pur (comme le suggèrent son insatiable appétit érotique et la séquence dans laquelle Martin essaie de la joindre et ne tombe que sur ses soupirs de plaisir) ? N’est-elle pas tout simplement ce qu’elle montre d’elle, et dont le reste ne serait que purement fantasmatique ? Le film a l’intelligence d’éviter de répondre à la multitude de questions qu’il suscite, prenant la parole comme exutoire du cauchemar né de l’incapacité de savoir. Cette parole, Martin en abuse : mais que ses interlocuteurs soient Cécilia (qui ne lui répond pas) ou Sophie (Arielle Dombasle), son ex-femme (qui ne l’écoute pas), Martin est seul face à sa logorrhée, et, finalement, est soumis à un angoissant monologue. L’Ennui est donc un film d’une légèreté seulement apparente, dont les résonances intimes ne peuvent qu’atteindre profondément le spectateur.