On était resté sans nouvelles de William Friedkin (French Connection, L’Exorciste) depuis Jade, thriller érotique de sinistre mémoire écrit par Joe Eszterhas et sorti en salles il y a de ça cinq ans. Après un remake télévisé de Douze hommes en colère, il revient aujourd’hui avec L’Enfer du devoir, dont le contenu, il faut bien l’admettre, est loin d’être aussi cornélien que les promesses de son titre.

Le scénario de Stephen Gaghan s’articule autour de la vie de deux officiers des marines ayant combattu sous le même feu au Viêt-nam. Les circonstances font que trente ans après, celui qui avait sauvé la vie de l’autre demande à son ancien ami d’assumer sa défense en cour martiale. L’enjeu est de taille puisque le colonel en question (Samuel L. Jackson) risque la peine de mort pour avoir ordonné à ses hommes de tirer sur des civils, dont un bon nombre de femmes et d’enfants, alors qu’il assurait l’évacuation de l’ambassade américaine du Yémen assaillie par des terroristes. Le présumé coupable est le seul à avoir vu que la population était armée, et n’est pas à même de le prouver. L’affaire prend une envergure nationale. Il incombe à son frère d’armes, Hays Hodges (Tommy Lee Jones) de sauver le soldat Childers. A partir de cette trame édifiante, Friedkin divise son film en deux parties. La première se consacre aux combats proprement dits : ouverture en forme de flash-back sur la période vietnamienne, qui plante d’emblée les protagonistes comme des hommes intrépides, prêts à assumer une mission-suicide pour le bien de leur pays, puis passage à l’époque contemporaine avec l’intervention musclée au Yémen (affrontement avec les snipers, sauvetage de l’ambassadeur et de sa famille, exécution de 83 manifestants) évoquée ci-dessus.

Ces deux séquences illustrent le savoir-faire de Friedkin dans le strict domaine de l’action : découpage serré, montage précis, souci de réalisme dans la description des stratégies déployées. Le réalisateur retrouve là l’efficacité de ses deux plus récentes réussites : Police Fédérale Los Angeles et Le Sang du châtiment. La seconde partie du film s’avère plus problématique dans la mesure où elle se déroule dans l’enceinte du tribunal militaire ; elle convoque un à un tous les archétypes du film de procès, ce sous-genre si cher au public yankee. Pas un poncif n’est épargné au spectateur, des témoignages à rallonge au réquisitoire injuste en passant par la disparition de pièces à conviction et les plaidoiries bouleversantes de dignité bafouée. Place est faite aux comédiens qui, chacun dans son registre, déploient des sommets d’énergie et de professionnalisme pour emporter le morceau. Tout cela serait sans conséquences sans la morale douteuse du propos, qui a tendance à confondre les règles de l’engagement du titre original, en gros le code éthique des Marines, avec les dix commandements. Il faut avoir vu Samuel L. Jackson pleurer devant le drapeau américain comme s’il venait de voir sa mère sauvagement assassinée pour croire qu’une telle forme de démagogie patriotique est encore praticable. Pourtant, c’est le cas. Ce qui suffit à métamorphoser un film bénin, somme toute rondement mené, en un pensum idéologique néfaste.