Guillermo Del Toro est un cinéaste pour le moins singulier. Il est capable aussi bien de faire un cinéma ouvertement commercial (Blade 2, sortie le 19 juin 2002) que de partir en Espagne pour réaliser une petite production indépendante : L’Echine du diable. Difficile d’imaginer univers plus opposés, mais le réalisateur passe de l’un à l’autre sans aucun état d’âme ; il semble à l’aise partout. Ce qui compte avant tout c’est la pure jouissance de faire du cinéma. On ne peut que saluer la démarche mais on est également en droit de préférer L’Echine du diable à Blade qui malgré quelques éclats formels n’est qu’un film d’action réduit à sa plus simple expression ; bastons à répétition et musique à donf…

Nous sommes à la fin des années 30, la République espagnole est moribonde, les franquistes sont sur le point de vaincre. Perdue au beau milieu d’une plaine désertique -un décor digne d’un western spaghetti- se trouve une immense bâtisse, un orphelinat accueillant les enfants des républicains morts au combat. Carlos, un garçon d’une douzaine d’années, trouve refuge dans cet étrange institut dirigé d’une main de fer par Carmen (Marisa Paredes). Le conflit semble bien loin mais il est présent dans tous les esprits, ne serait-ce que par le biais d’une énorme bombe fichée au milieu de la cour. Ce projectile est le souvenir d’un raid aérien durant lequel l’un des pensionnaires, Santi, a mystérieusement disparu. Depuis, une rumeur circule parmi les élèves : son fantôme hanterait les couloirs.

L’allégorie politique est des plus limpides, Carmen et le professeur Casares (Federico Luppi), républicains convaincus, se révéleront incapables d’affronter l’ennemi intérieur incarné par le brutal Jacinto (Eduardo Noriega), homme à tout faire des lieux. Malheureusement, Guillermo Del Toro tisse sa toile symboliste de manière un peu trop appliquée et systématique. Par moments, le tout signifiant n’est pas loin d’être asphyxiant (exemple : pour symboliser la faiblesse des républicains, il ne trouve pas mieux que de faire de Casares un impuissant et de Carmen une infirme). Ce n’est donc pas le pan allégorique malgré sa force évocatrice qui séduit le plus dans le film. L’envoûtement est ailleurs, il provient avant tout de la virtuosité de la mise en scène, des discrets et poétiques effets spéciaux. Les apparitions spectrales de Santi sont ainsi de toute beauté. Promenant sa caméra sous les voûtes humides, dans les sombres couloirs, Guillermo Del Toro sait comme personne installer une atmosphère des plus inquiétantes. C’est en styliste confirmé qu’il filme cette histoire de fantômes hantée par un désastre politique. A l’image du récent Les Autres d’Amenabar, L’Echine du diable assume pleinement son classicisme et renouvelle avec brio le film d’horreur.