Qu’est-ce qu’on trouve, dans L’Age atomique ? Des mèches rebelles dans des visages, des crinières qui parlent. Du crin, qui s’exprime. Cultivé, il récite de la poésie, il connaît Rimbaud. Il tombe aussi dans l’œil, alors forcément il fait pleurer, de là l’idée de spleen, d’ivresse décadente. Tout peut devenir chic, dandy, parisien et suicidaire : il suffit qu’un cheveu se prenne dans un cil. Ce film, c’est la nuit transfigurée par le poil. Et c’est Paris déformé par la buée des larmes. Il y a la capitale, une mer, avec sur cette mer, des bateaux ivres : les étudiants chevelus. Au milieu de la mer, un récif et son phare : la tour Eiffel. Sous la mer, une hydre, un diable : l’étudiant à poil ras. Mauvais bourgeois et futur cadre. Victor et Rainer, deux amis venus de banlieue, vingt ans maxi, précieux comme des doctorants, prennent le train pour Paris. Boîte bobo, errances, élixirs, fumigènes, créatures de la nuit, et puis lent retour vers les berges et leurs bois sauvages, c’est-à-dire la périphérie. Voilà le programme.

N’aurions-nous pas – simple supposition – une fois de plus glissé, très insensiblement, vers la quatrième dimension des nuits parisiennes, le maquis des vrais défenseurs de la République ? Autrement dit vers la low life, inventée par Nicolas Klotz (père d’Héléna) dans le film du même nom ? Voyons voir. Longueur de mèches, donc : réglementaire. Visages androgynes, profils exsangues : ils y sont. Métaphores surnaturelles : ok. Scansion traînante et précieuse : ok. Bande son gothique dépressive : ok. Révolutionnaire éclairé contre enflure de droite : ok. Une risible séquence de pugilat dans la rue, en sortie de boîte, condense le tout admirablement. On peut dire en somme que c’est Low life 2. C’est à tout le moins un film normé low life. Coiffé low life, fringué low life. C’est-à-dire authentifié rebelle.

Quelques fantômes du film de Klotz père surgissent dans celuide Klotz fille, notamment Luc Chessel (acteur assez incroyable, plutôt bon, sorte de Dracula estudiantin). Il y a dans ces deux films certaines combinaisons de lumières, de sonorités et de figures, qui ont pour elles de réussir, parfois, à forcer l’envoûtement. On gardera par exemple, de L’Age atomique, outre la vision subjective du regard inondé de larmes (même si émotionnellement nulle, pour les raisons citées plus haut), son quart d’heure d’hypnose, qui est la séquence de la boîte de nuit. Réussi notamment parce que dans la pénombre, les styles disparaissent. Qu’on voit surtout directement les peaux, par les lumières des spots qu’elles reflètent. Là, quelque chose d’électrique se passe, d’extrêmement ténu mais de réel, à propos du désir adolescent. On ressent des espèces de flux et de reflux d’atomes entre les corps, dont parle le titre, tout un trafic invisible qui les font s’attirer pour l’instant d’après, sans raison, se rejeter plus ou moins violemment. Beaucoup de tabac fumé, dans L’Age atomique : les panaches qui sortent des bouches et enveloppent les têtes ont l’air de vouloir figurer ces influences-là.

C’est le point limite du film, qui ne réussit jamais ailleurs ce qu’il mène à bien dans ces quinze minutes atomistes. Ailleurs, plus de corps, ou de têtes, justes des coiffures. Des perruques volantes, des cheveux qui parlent. Des brumes, des buées membraneuses – s’agissant aussi, pour Klotz, de montrer comment ces poètes résistent, ou ne résistent pas aux influences du monde et de la nature, de la vie et de son sens, etc. Ratage total de côté-là, parce que la nonchalance dandy des deux héros n’a rien à voir avec le spleen. C’est comme on l’a vu un simple problème d’irritation. C’est un cheveu tombé dans un oeil. Une question de style, quoi. Le film en devient très évanescent lui-même, plein de scènes dérisoires et vides, épousant les petits effets de mode auteuristes. L’Age atomique disparaît peut-être à cinquante, soixante pour cent sous les brumes qu’il fait champignonner. Oeuvre à moitié vapeur. Ciné-brouillard. En somme, qui se dissipe à mesure qu’il passe, et donne à voir le spectacle assez alarmant, mais suffisamment bizarre pour étonner un peu, de l’évaporation de ses forces.