Des origines (Braindead, Bad taste, Forgotten silver) à nos jours (la trilogie du Seigneur des anneaux), on sait quelle ampleur a pris le cinéma de Peter Jackson, et quel chemin, qui d’artisan potache plutôt inspiré l’a transformé en mammouth pompier. Son King Kong arrive coiffé de la pire des casquettes -le film de fan pour fans- et repart en ayant laissé derrière lui un pâté triple croûte, indigeste au trois quarts.

Côté King, Jackson, c’est déjà ça, a réussi sa bête : monstre numérique dont le moindre poil rivalise d’expressivité avec un Laurence Olivier des grands soirs, l’animal King Kong est plus que convaincant, comme le sont la plupart des effets spéciaux de cette énorme machine. C’est que le versant Futuroscope du film est assez réussi dans sa dimension la plus physique (la sensation de vertige lors de la fameuse scène en haut de l’Empire State Building), et que Jackson s’autorise quelques mamours avec la version Cooper / Schoedsack de 1933 en tournant quelques plans vintage. Et dans le domaine ici microscopique de l’échelle humaine, Naomi Watts est très bien, qui semble refaire durant trois heures la scène de casting de Mulholland drive. Effet charmant lorsqu’elle tente d’attirer l’attention de la bête en remuant devant lui, qui vire aussitôt à la catastrophe puisqu’elle enchaîne avec des claquettes, du jonglage et diverses acrobaties.

Ça, c’est le côté Kong du film : les semelles de plomb du cinéaste, qui rate à peu près tout ce qu’il entreprend, et par excellence le coeur mélo-zoophile du film. King Kong se distribue entre micro-réussites et grosses scènes-boulets. L’appétence, un peu inquiétante sous sa ronde naïveté, de Peter Jackson pour le monumental et l’épandage, ses élans poétiques à la hussarde (la scène dans Central Park, on est à deux doigts de Holiday on ice), carbonisent dans l’oeuf le moindre élan du film. Qu’il s’agisse de donner dans la subtilité affective (les relations entre les personnages secondaires, calamiteuses) ou dans la réflexion suant à grosses gouttes sur le rapport à l’animal, un peu ballote surtout pour qui vient de voir le prodigieux Grizzly man (on a sincèrement peur que sous les encouragements de la belle, il se mette à articuler « beautiful », l’animal).

Jackson partout fonce dans le tas, aime s’embourber, s’éclate dans la multiplication. S’il y avait un dinosaure en 33, il y en aura 40 cette fois-ci, c’est normal, c’est la modernité. La partie centrale du film, dans la jungle, si elle est inaugurée par un sommet de grotesque (les indigènes, catastrophiques, maquillés avec les restes de cirage du Seigneur des anneaux), se poursuit sur ce simple principe de surenchère. La bonne heure passée parmi les espaces verts de Skull Island vaut moins pour sa narration prête à jouer sur console (on y passe d’un décor à l’autre comme on change de niveaux), que pour sa laideur et l’inutilité absolue de ses épisodes. Insectes, sangsues géantes, tyrannosaures trapézistes, poursuites démesurées, bestiaire et situations convoquées ici pour rien, puisque Jackson tout en voulant renouer avec l’esprit du cinéma d’aventure en oublie la charte essentielle, à savoir que tout doit être sacrifié à l’efficacité de l’action. On s’ennuie méchamment dans cette jungle filmée sans idées, il ne s’y passe rien sinon du surnombre. Tout ici n’est que figuration, c’est bien le problème.

Cependant, lorsque la machine s’emballe, il se passe parfois quelque chose : le gorille à New York testant toutes les blondes de la ville à la recherche de la sienne ; la poursuite des dinos patapoufs qui trébuchent les uns sur les autres pour former un tas de boudins gris ; la présentation de King Kong au public new-yorkais. Côté King, ces mini événements ; côté Kong, le reste. Graisse du film jamais tout à fait lavée par les hypothèses qu’il lance sans faire exprès, comme on renverse un pot de peinture en barbouillant une toile. Film obèse, King Kong existe un peu, mais pour pas grand-chose, pour lui, pour rien, pourquoi pas.