Il y a des cinéastes dont on ne doute pas ; dont l’œuvre est si impressionnante qu’elle ne laisse planer aucune inquiétude quant aux beautés des films à venir. Avec un seul long métrage à son actif, Harmony Korine avait d’emblée réussi à nous convaincre de son génie. Et pourtant… Sorti l’année dernière en France, Gummo ne cessait de fasciner par son langage chaotique, tout en digressions et percées poétiques. Encore plus sûr que nous de son talent, Korine s’est donc confronté au drastique Dogme danois, farce plastique lancée par Lars von Trier et ses amis (l’expérience la plus probante née de cette doctrine restant à ce jour l’opus de LVT lui-même, le décapant Les Idiots). Un peu comme s’il entrait en religion, le jeune homme s’est donc muni d’une bonne vieille DV, du chef-op’ de Festen et d’une poignée d’acteurs venus de tous bords : Chloè Sevigny, égérie de toujours ; Ewen Bremner, ex-trainspotter ; et, plus surprenant, le cinéaste allemand Werner Herzog, auquel Korine voue une passion peu commune -et justifiée.

Julien donkey-boy ne raconte pas, mais suit comme il peut le parcours d’une étrange famille, composée d’un père brutal et névrotique (Herzog, bien sûr), d’un fils lutteur et d’une fille ballerine et enceinte jusqu’aux dents (Chloè Sevigny). Quant à l’aîné de cette fratrie disjonctée -le Julien du titre-, il s’agit d’un grand gaillard attardé que Korine nous présente dans le pré-générique en train de trucider un gamin, acte sur lequel le film ne reviendra évidemment pas. Car Julien donkey-boy, c’est un peu la version anarchique de Gummo, comme si tout ce qui faisait sens dans le premier film, tout ce qui paraissait lisible tant du point de vue des affects que de la narration devait s’effacer pour laisser place à un bouillonnement permanent d’images sales, de personnages en crise et de caméra survoltée. Korine expérimente toujours autant, mais semble avoir oublié le pourquoi de son art, à l’affût d’un miracle qui, faute d’un minimum d’élaboration visuelle, n’arrive que tardivement (les trois dernières séquences sont magnifiques). Alors, Herzog a beau se munir d’un masque à gaz, Sevigny jouer à la folle en tutu et Bremner rouler des yeux en bavant, l’on reste avec l’impression que, sur l’écran, rien ne se passe, rien ne vit. Triste à avouer lorsque l’on repense à la force de Gummo, à cette sorte de monstrueuse mélancolie qui habitait chaque plan et qui, ici, n’affleure que trop rarement (Julien, les yeux pleins de larmes, déambulant dans la rue, walkman aux oreilles), entre deux longues plages d’ennui profond.