Je suis un no man’s land, donc, premier film à mettre au premier plan la désormais méga star Philippe Katerine. Une mise en abyme avant toute chose : Philippe Katerine est Philippe Katerine, le chanteur tel qu’en lui-même, lequel, sortant de scène, se retrouve embarqué dans une cambrousse inquiétante par une fan nympho. Alléchante porte d’entrée vers la fiction, où l’aisance de Katerine se déploie dès la première seconde. Il est à la fois lui-même, corps comique de scène transpirant la dérision (à ce stade, il est encore en costume), et un vrai clown de cinéma, un peu Bill Murray, un peu Will Ferrell, dont on pressent la disposition toute naturelle pour le grand écran. Problème, Katerine n’est pas seul : il a délégué la mise en scène à Thierry Jousse, complice de longue date mais surtout wannabe cinéaste (Les Invisibles) dont l’amateurisme et l’impuissance massacrent l’imaginaire de la star comme une lame de fond.

A ce titre, Je suis un no man’s land est d’abord une promesse non tenue : une mise en place d’un quart d’heure pétillante, enlevée, confirmant l’épanouissement d’une star sûre de son fait, mais qui débouche sur un champ de ruines. Pas vraiment un no man’s land, plutôt un territoire vicié sur lequel rien ne pousse, où rien ne peut se jouer. Fuyant le pavillon de la groupie, Katerine atterrit dans la ferme de ses parents, qu’il avait laissés sans nouvelles depuis le début de sa gloire. Enfilant le jogging de son adolescence, il boit une mousse au bistrot du village, va chercher le gigot du repas, puis tente de rejoindre son équipe, en vain : à chaque tentative, une force surnaturelle le condamne à retourner chez papa et maman. Point d’orgue fantastique qui se traduit à l’écran par une séquence édifiante de labeur : la voiture de Katerine s’arrête lentement sur une route de campagne, puis recule, tandis que l’image se rembobine à toute vitesse façon Benny Hill, avant de se fixer au point de départ sur le trottoir du village. Moment de pur bug, révélant autant la nullité mécanique du récit que le décharnement absolu de la mise en scène : le film est littéralement grippé, condamner à sauver les apparences par une ode à l’esthétique du nanar effroyablement piteuse.

C’est évidemment rageant, parce que Katerine ne mérite pas ça, d’autant que le génie du chanteur consiste à élever l’ambivalence au rang des beaux arts. Il faut se rappeler Peau de cochon, film réalisé par Katerine lui-même, en DV, où celui-ci se baladait sur le fil de l’imposture et de la consternation avec une souplesse démente, atteignant un degré comique stratosphérique – sa collection de matières fécales, avec Jousse, déjà, dans un rôle de partenaire analyste, bien plus à sa place que derrière une caméra. Rien de tout cela ici, ou plutôt si, justement. Tout l’univers katerinien est là, mais parfaitement galvaudé, circonscrit dans un cadre microscopique, étriqué – les paniers de basket en jump cut, remake d’une affiche promo simplement privée d’imagination et de folie, ou la ficelle mélo mamouthesque de la maladie de la mère. Détournée de sa belle ambivalence, l’oeuvre dérape alors vers le pire malentendu qui soit : arnaque, arrogance, impuissance. La prochaine fois, Katerine ferait bien de s’occuper de tout. Non seulement il en a les moyens, mais il est sans doute le plus qualifié pour ça.