De Pierre Merejkovsky, trublion du PAF associatif (Zaléa TV) et réalisateur d’une quarantaine de films bidouillés, on connaît surtout la verve militante un peu surannée, une façon de se mettre en scène qui évoque tout à la fois Jean-Pierre Mocky et les attentats pâtissiers de Noël Godin. Son arrivée dans un circuit plus traditionnel est l’occasion d’un étrange détraquement : comme si une équipe de football de division d’honneur se retrouvait subitement propulsée en Ligue des champions. Le résultat est à la hauteur des espérances, Merejkovsky trouvant dans cette mise en lumière inattendue l’occasion de ne pas se renier (pas un gramme de prétention ici) mais aussi, peut-être, de grandir un peu pour s’extraire sa coquille populo underground.

Dans la peau d’Eric P., qui lutta dans les années 90 contre la construction d’un tunnel avant de finir interné, l’auteur / acteur / bricoleur multiplie les appels d’air. Si le film joue au début d’une certaine complaisance vis-à-vis du milieu décrit (débats enflammés de post-hippies dans des squats de banlieue, ambiance fête de l’Huma ringarde et désuète), il démontre déjà une certaine faculté à s’en détacher par quelques très beaux moments de mise en scène, à l’image de ce long plan séquence dans une cave transformée en QG révolutionnaire où l’on ne sait plus trop bien la part de vrai et de faux, d’impro brillante et d’interprétation. Advient ensuite la vraie question du film, jeu de miroir admirable entre validité quotidienne d’un engagement radical et espace de la folie.

Nul manichéisme dans la visée de Merejkovsky : lorsque le personnage bascule peu à peu dans la folie (quand l’acteur, dans un plan fixe et désolé, singe un leader révolutionnaire de manière ouvertement pathétique), le combat se mue en conte de la folie ordinaire et de la solitude. L’espace psychiatrique et les institutions, incarnés dans le personnage bienveillant d’Aurélien Recoing, ne sont pas comme on aurait pu l’attendre brocardées, elles deviennent plutôt le temple d’une mascarade baroque, refuge de visions aberrantes et jouissives : Merejkovsky en martyr carnavalesque traversant la place d’un immonde village, les bras en croix sous le regard éberlué des passants. Beaucoup de désespoir ici, et la certitude d’un point de vue qui dépasse sa condition, exténuant un à un les clichés. Cette vision-là des engagements romantiques du passé, consciente de sa chute sans pour autant renier une irrépressible foi dans la lutte, vaut tous les trophées de guerre fanfaronnants d’un Michael Moore ou d’un José Bové.