Dans la veine du jeune cinéma réaliste français, Inséparables navigue à mi-distance entre la catégorie des films réussis (En avoir ou pas) et celle des ratages (Fred). Robert (Jean-Pierre Darroussin), comédien par intermittence et dépressif à plein temps, revient voir sa famille à Boulogne-sur-Mer. Le costume parisien étant beaucoup trop ample pour lui, il finira, de peur des courants d’air, par se contenter définitivement de celui, plus étriqué (et donc plus à sa taille), de sa ville natale. Histoire d’un renoncement au médiocre pour plus petit encore, d’une résignation à un bonheur artificiel et sordide, Inséparables enregistre froidement un encéphalogramme désespérément plat. Sans jamais sombrer dans l’évocation sentimentale grossière, le cinéaste trace donc la ligne de fuite de Robert, tout en exhumant des existences insignifiantes enfouies dans les brumes putrides d’un port quelconque sur la Manche.

Clé de cet univers : savoir accepter son sort, si indigent soit-il. Les silhouettes creuses des personnages qui gravitent autour de Robert, dessinées avec un doigté léger, possèdent la force d’un réalisme sans emphase. Gisèle (Catherine Frot), la sœur de Robert, engagée dans une histoire d’amour des plus banales avec son supérieur marié, se persuade envers et contre tout qu’elle avance vers le bonheur. Même lorsque son amant la quitte pour retrouver sa femme, elle va considérer comme une chance l’enfant qu’elle attend. Sa copine Loulou (excellente Fabienne Babe) se contente de ce que les gens veulent bien lui donner, même si elle a conscience que ce n’est pas grand chose. Peu à peu, le sentiment de révolte qui a poussé Robert à fuir cet univers s’est délité. Seule la peur du monde lui reste chevillée au corps. Dépourvu de tout désir, excepté celui de se cacher, sa réadaptation à la ville va s’opérer rapidement. L’atmosphère hermétique de cette vie au rabais à Boulogne contente donc tout le monde, à charge pour chacun de ne pas soulever le couvercle pour laisser s’infiltrer un soupçon de brise fraîche qui risquerait de raviver quelques énergies et quelques plaies.

Si Inséparables séduit aussi par ses paysages sans profondeur et par sa lumière blafarde, si la décoration intérieure des appartements et les tenues vestimentaires de ces personnages atrophiés donnent des frissons dans le dos, le film manque cruellement d’envergure cinématographique. Car, en fin de compte, rien de tout ce qui a été décrit précédemment n’existe pleinement sur l’écran. Aucun acte cinématographique fort ne vient soutenir toutes ces belles velléités scénaristiques à peine perceptibles. La mise en scène se borne à accompagner l’action, à donner à voir le récit, sans jamais lui insuffler une force esthétique à même de sortir le film d’un état de mort clinique. Une cruelle stérilité se fait alors ressentir. Chaque figure n’existe que par elle-même et doit se passer du regard de la caméra. Privées de toute force artistique, elles errent informes à travers le film. Dommage que Michel Couvelard n’ait pas permis à ses personnages d’exister également par l’image.