De l’Ours d’or 2003 au Festival de Berlin, on pouvait attendre le pire : un film réalisé par Michael Winterbottom (aïe) tourné à la manière d’un faux documentaire (ouïe) dans les régions les plus reculées du Pakistan ou de l’Afghanistan au lendemain du 11-Septembre. Soit le long périple de Jamal, jeune réfugié afghan qui tente de rallier Londres par routes et mers en compagnie de son cousin Enayatullah. Entre Peshawar, Téhéran, Istanbul, Trieste et Sangatte, le film se fait variation ironique sur la mythique « Route de la soie ». Entre cinéma et documentaire, il se fait aussi, malheureusement, reproduction stérile et bâtarde de deux mouvements opposés (l’essai anthropologique et la fiction mélodramatique bourrée d’effets de style) : un monument de vacuité artistique, en somme.

Première trouvaille de Winterbottom : filmer le désert afghan en de jolis plans monochromes jaunis. A chaque étape et pallier franchi vers l’Ouest, le jaune se dégrade en couleurs plus authentiques, plus naturelles : du blanc minéral de Trieste à la nuit bleue de Sangatte. Filmer l’exil des réfugiés comme un jeu vidéo, pourquoi pas. Mais le résultat ressemble à du sous-Soderbergh esthétisant et ne mérite nullement le qualitatif de docu-fiction qu’il se voudrait voir attribuer. Deuxième grande trouvaille de Michael : retranscrire le danger (« on y était ») par un style convulsif et brut de décoffrage totalement artificiel. Là encore, Soderbergh n’est pas loin. Les personnages, eux, semblent à des années-lumière du vrai projet artistique mené par le cinéaste-aventurier : tout ici relève du pseudo-tour de force technique, entre aventure Camel Trophy et épisode deluxe d’Ushuaïa (le passage de la frontière turque en infrarouges). La force documentaire du film y perd sur toute la ligne.

Enfin, résident là-dedans d’insupportables relents de mauvaise conscience postcolonialiste. A la fin, le film se plaît à ironiser : Jamal se rend compte que l’Angleterre, au fond, n’est pas le paradis qu’il croyait. Plan odieux : son camp de réfugiés pakistanais prend alors l’apparence d’un Eden perdu (les enfants du tiers-monde sourient à la caméra en une suite de portraits Benetton). La boucle est bouclée : In this world n’est rien de plus qu’un mélodrame pâteux et démagogue, à peine plus évolué que le récent Dirty pretty things de Frears -qui avait au moins pour lui sa naïveté grossière et caricaturale. Winterbottom est un simulacre de cinéaste. A la limite, tout juste un super Nicolas Hulot pour festivaliers en manques de sensations fortes.