Jane Campion en Amérique, pour la première fois, loin de l’ambiance roots et périphérique de sa période australienne, peut-être désormais derrière elle. In the cut est un film urbain et chaud, les affects y sont catalysés par la moiteur et les climatiseurs défectueux. New York, ses bas-fonds troubles, ses bars louches. Cliché total. Frannie (Meg Ryan), professeur de lettres, étudie l’argot et fréquente des individus pas forcément fréquentables. Un soir, dans un bar sombre, elle assiste en témoin clandestin et fasciné à une scène sulfureuse : une fellation dans les toilettes, un homme tatoué. Le lendemain, visite d’un policier -tatoué- qui lui annonce qu’un meurtre a été commis dans le voisinage et qu’un serial killer sévit dans la ville. Jane Campion joue sur deux tableaux : le réalisme traditionnel d’un polar new-yorkaise et la plongée dans les eaux troubles du thriller sexuel. Produit par Nicole Kidman, qu’on voudrait nous faire passer pour un gage de haute qualité artistique, In the cut est une sinistre arnaque.

Malgré de multiples détours et bavardages, on voit très vite où Campion veut en venir. La sensualité humide, l’ambiguïté des personnages, le sexe vu comme un vortex dans lequel s’abîment la morale et les principes de chacun. Meg Ryan enfin troublée par le sexe, frissonnant sous ses propres caresses les nuits d’été, elle qui d’ordinaire traîne au lit jusqu’à pas d’heure en chaussettes hivernales et gros pull. Un amoncellement d’artifices arty destinés à faire passer la pilule d’un scénario indécis et se vautrant passionnément dans le glauque. Filtres jaunâtres, lumières ocres et mises au point floues, tout un attirail mi-branché mi-ringard pour donner le change et suivre à la trace un récit brouillé et faussement audacieux. Tout cela agace très vite, cette manière de foncer tête baissée dans les clichés du thriller post Basic instinct (où, bien sûr, on inverserait les rôles entre hommes et femmes). Le sulfureux, pour Jane Campion, est devenu une performance comme une autre. Filmer une fellation à l’envie, pour elle, c’est moins créer un malaise, titiller un point limite, que s’auto-féliciter par avance d’un aussi louable de courage -et quel courage y a-t-il, aujourd’hui, à faire un tel exploit ? Il y a tant de suffisance et de préciosité dans In the cut, pour un résultat plus que médiocre, qu’on en vient à se demander ce que Jane Campion a désormais à nous dire. Peut-être qu’elle se sent bien en spécialiste du bluff, tantôt du côté de la netteté froide (La Leçon de piano), tantôt du côté du flou chaud (In the cut). A la limite, on préfère nettement la sensualité quasi comique de Holy smoke.