C’est peu dire que le nouveau Jia Zhang-ke n’a pas fait sensation cette année à Cannes, où on lui réserva l’accueil auquel, souvent, le festival condamne les documentaires. Curieux, tant ce portrait de Shanghai, son histoire et ses habitants, semble justement fait pour séduire. C’est peut-être la seule réserve qu’inspire le film, qui porte à un degré inattendu la tentation de plasticien du cinéaste, lequel s’avance jusqu’aux frontières de l’architecture, de la photographie, de l’art contemporain. À terme, cet appétit n’est peut-être pas sans danger : on n’est pas sûr, par exemple, de raffoler de cet espèce de Pierrot lunaire qui sillonne la ville tout en blanc et fait passer à travers le film un fil poétisant à la limite du mauvais goût.

A cette réserve près, I wish I knew est somptueux. Cela n’a rien pour surprendre, tant se confirme ici le talent de documentariste de Jia Zhang-ke, qui excelle décidément dans la captation de moments de vie autant que dans l’exercice de l’entretien. Les entretiens sont magnifiques, nouant idéalement apport factuel et charge émotive. De ce côté, sans égaler tout à fait les sommets de 24 city (où l’on finissait par ne plus savoir, en écoutant Zhao Tao, si l’on se trouvait devant une interview classique ou le monologue de La Maman et la putain), la manière du cinéaste reste incomparable.

Au rayon nouveautés, il faut dire un mot aussi du goût pour l’histoire qui irrigue toute la première partie : le cinéaste s’était peu écarté jusque là du contemporain, et surtout de la jeunesse chinoise des années 2000. I wish I knew, au moins dans un premier temps, n’en a que pour les vieux, visite leurs salons de thé, remontant avec les récits jusqu’à la révolution de 1949, et au-delà. Voilà quelques années qu’on annonce le premier grand film historique de Jia Zhang-ke (aux dernières nouvelles : une production Johnnie To qui pourrait même flirter avec les arts martiaux – autant dire un des projets les plus fous du moment) : I wish I knew vient préparer le terrain tout en refermant, pour l’instant, la série de ses sublimes semi-documentaires. Splendide transition.