Sans doute l’une des forces du premier long-métrage du romancier Xabi Molia réside-t-elle dans ses indécisions. Entre drame et comédie, Huit fois debout ne tranche jamais vraiment, introduisant ses deux personnages principaux à l’heure précise de leur déclassement (perte d’appartement, ratage systématique de leurs entretiens d’embauche…) tout en leur promettant sans cesse l’espace (mental, géographique) nécessaire à une échappée. Le film est en cela très drôle, Elsa et Matthieu apparaissant moins comme des figures caractérisées par la seule quête d’une stabilité sociale que par une prédisposition presque heureuse au ratage, au pas de côté. Julie Gayet et Denis Podalydès, qui les incarnent, brillent ici de leur investissement total dans leur rôle, n’interdisant jamais la suggestion d’un ailleurs, d’un supplément à leurs répliques et chutes respectives. Par le dosage intelligent de ses effets, le tissage délicat des ambivalences, Huit fois debout rejoindrait même le récent Arnacoeur de Pascal Chaumeil, dans la catégorie des belles surprises du moment, en matière de comédie hexagonale.

Elsa et Matthieu, donc. L’une menacée d’expulsion dès la première scène (hilarante) par un propriétaire entreprenant de faire visiter son appart encore occupé. Efficacité de cette entame, dont l’enjeu sera à la fois de donner immédiatement quelques indications nécessaires à l’identification du personnage principal (une trentenaire au chômage, confrontée à une violence sociale désormais familière) tout en instaurant un écart entre l’aspect dramatique de sa situation et le ton de ses échanges avec les visiteurs. Elsa profite d’une courte éclipse de son propriétaire pour tout déballer : elle peine à joindre les deux bouts, ce logement est indispensable à l’accueil, un week-end sur deux, de son fils de 10 ans, etc. Mais tout ça l’air de rien, avec une désinvolture s’apparentant moins à du cynisme qu’à un réalisme tempéré, une lucidité un peu rieuse. Charme fou des personnages préservant une distance par le mot là où le corps, l’image, indiquent pourtant que la catastrophe a bien lieu.

Nul doute que sans Julie Gayet, actrice au jeu tout en soustraction, reposant sur une pure adéquation au moment, le drame aurait été plus lisible, le dialogue sonné légèrement tautologique. Affaire de ton, de débit… Elsa est un rôle assez idéal pour elle, l’ouvrant comme rarement dans sa filmo très inégale aux possibles d’un premier degré a minima, d’un investissement sans pesanteur dans les cadres d’un film tout à sa disposition. L’autre personnage principal de Huit fois debout, Matthieu (incarné par un Denis Podalydès en évolution discrète, toujours différent dans son apparente égalité d’humeur), ne sera de son côté jamais exposé dans sa lutte pour quelque préservation de ce qui lui reste de confort, mais bien davantage dans l’observation en même temps que l’acceptation des choses de la vie. Ses deux-trois séquences d’entretien au Pôle Emploi sont parmi les plus efficaces du film, d’un point de vue strictement comique, de par la manière dont ses réponses aux questions concernant ses motivations, le sens du travail, les vides de son CV poussent l’exercice dans ses retranchements les plus absurdes.

Le chômeur, pour Xabi Molia, n’est ainsi aucunement réductible à sa seule détresse (pourtant bien réelle, la précarité n’étant jamais moquée, particulièrement palpable vers le milieu du film, accompagnant Elsa, expulsée, dans la recherche de l’hôtel le moins cher, la préservation de son hygiène…). Son héroïsme résiderait même dans cette inadaptation presque forcenée. Si le personnage féminin est soumis à l’injonction d’un indispensable retour à la norme, ne serait-ce qu’à dessein de préserver des droits sur son fils, son pendant masculin se démarquerait par sa douce résistance, son constant refus de la résignation. Tel entretien est foiré ? Tel employeur potentiel ne me recontacte pas ? Pourquoi ne pas en profiter pour aller tirer à l’arc dans un espace vert ou s’improviser homme des bois ? Parce-que je n’ai pas le choix, mais surtout parce-que c’est déjà ça, de savoir tout de même disposer de ce temps d’inactivité. Ceci n’est qu’une lecture parmi tant d’autres de la philosophie de ce personnage assez solitaire dans le cinéma français et de ce film pas moins singulier qu’est en définitive Huit fois debout. L’un de ceux donnant des raisons de croire un peu plus en une certaine santé retrouvée de ce cinéma, gagnant comme peu d’autres à édifier calmement ses petites fictions du jour par « le milieu ».