Enorme buzz autour du deuxième long métrage d’Eli Roth, après Cabin fever. Sauce montée par le parrainage de Tarantino, un écoulement d’affiches assez prometteuses, des rumeurs faisant étant de malaises (voire de vomi !) lors des premières projections, un succès surprise au box office américain, etc. Le film a pourtant bâti sa réputation prénatale sur quelques arguments putassiers, en promettant via sa bande-annonce 90 minutes d’Abu Ghraib : torture, sadisme plein cadre. Hostel est un film de son époque, celle frappée de plein fouet par les images insoutenables des exécutions d’otages, et notamment celle de Daniel Pearl, qui donnait une réalité et une consistance atroce au fantasme légendaire du snuff movie. Curieux film en vérité que ce Hostel, qui au culot va gratouiller ce terrain-là. De deux manières :

1. Le récit suit deux pieds nickelés américains en vadrouille en Europe, accompagnés d’un routard islandais croisé sur la route. En quête de sensations fun, ils courent après la fumette et les fesses peu farouches. On les envoie du côté de Bratislava, dans un hôtel où des bimbos brûlantes partagent leur chambre et plus encore. Toute la première partie du film, très longue, est consacrée sans retenue à ce buddy movie potache, à l’humour de campus. Et puisque l’horreur est promise, on songe un instant que le film va s’employer à punir les mâles en rut. Refrain puritain du slasher : le sexe et la jouissance tuent, il faut payer, la mort demande rétribution. C’est moins cela, en fait, qu’un brutal renversement. D’un coup on passe du plaisir inconséquent à l’enfer sans retour, d’une Amérique reproduite artificiellement ailleurs (on se doute bien que les deux boys ne voient rien de l’Europe qu’ils traversent) à cet ailleurs lui-même où une violence marchande, américaine, fait des ravages.

2. Entre les films d’horreur les plus crados et les images de l’exécution de Daniel Pearl, par exemple, il y a un gouffre. Heureusement. Seuls des objets du type Cannibal holocaust, en jouant de manière perverse sur l’ambiguïté de son rapport au réel avaient cherché à combler cette distance -en partie, parce que la violence et la terreur d’une mort réelle filmée est absolument impossible à traduire en cinéma, de même qu’une vraie bagarre est infiniment plus impressionnante que toutes les bagarres de tous les films. L’enjeu du film est aussi là, dans cette béance, qu’il ne prétend pas remplir pour les raisons susdites. Il n’empêche, Eli Roth joue à fond sur ce fantasme-là, on pourra toujours trouver cela répugnant (surtout que le dénouement du film n’est guère malin), ou bien y voir un parfait exutoire à l’horreur contemporaine sous la forme d’une petite boutique de l’épouvante où se reproduit perversement un ordre du monde. Ici les tortionnaires sont les petits saigneurs de la guerre libérale, businessmen venus de monde entier enfiler le tablier du boucher (on y reconnaît Takashi Miike en caméo). Simplisme, dites-vous. C’est un peu vrai, à l’image des éclairages du film, qui opposent le fun bigarré un peu sitcom ou American pie de la première partie au glauque rouge sale de la seconde. C’est aussi vrai dans la manière dont le récit prend un malin plaisir à se laisser désirer (c’est American pie pendant 45 minutes, quand même). Simplisme, mais tout de même : Hostel, étrange objet, navigue toujours à la limite de l’arnaque, et sait toucher parfois autant une réelle envie de faire exister des images, des lieux (les bas-fonds de Bratislava) qu’une capacité à retourner ses postulats inélégants en questions disons plus théoriques. Sur l’imaginaire lié à la torture, région sombre et vraiment flippante (plus que tout monstre), Eli Roth fait preuve d’une certaine science de la limite, une limite dialectisée par son rapport aux images « vraies », autant qu’une limite de terrain, plus géopolitique.