Film phare de l’animation japonaise moderne, Horus, prince du soleil marqua, à la fin des années 60, la rencontre de Isao Takahata (Le Tombeau des lucioles, Pompoko, Goshu, le violoncelliste, Mes voisins les Yamada) et Hayao Miyazaki (qu’on ne présente plus), deux auteurs qui allaient révolutionner l’animation japonaise après que le maître Osamu Tezuka eut posé la première pierre. Un vent nouveau se préparait à souffler sur la Toei, société productrice du film généralement habituée à des productions bon marché. Situé au confluent de légendes orientales et nordiques, le film narre les aventures d’Horus, jeune garçon intrépide qui, à la suite de la mort de son père, débarque dans un village où il est rapidement accepté après avoir tué un brochet géant qui condamnait les habitants à la famine. Mais le démon Grunewald, dans sa volonté de puissance, rêve d’éradiquer ce bonheur fraîchement acquis. C’est alors qu’Horus fait la rencontre de Hilda, une jeune fille à la voix d’ange mais pourvue d’une tristesse insondable. Quel terrible secret dissimule-t-elle donc ?

Si on reconnaît la touche Takahata (une manière à la fois subtile et naïve de concevoir les personnages) l’univers du film, lui, évoque immédiatement les réalisations futures de Hayao Miyazaki, ici animateur principal. Le hors temps mythologique, l’obsession de l’apocalypse, le délire des formes (un poisson de taille monstrueuse, un gigantesque mammouth de glace), autant de motifs qui jalonnent son œuvre. La convocation de problématiques ancestrales sont déjà magnifiées dans une puissance expressive qui, à l’enthousiasme naïf de la jeunesse (le courageux Horus, tout autant que la créativité visuelle du duo Takahata / Miyazaki) associe dans le même temps un élan d’une véritable noirceur, un pessimisme terminal sur la vision des hommes et de leurs démons dont le personnage d’Hilda serait la part intérieurement la plus ravagée. Une véritable rumination mentale sur la destruction sourd derrière le cellulo multicolore, qui atteste déjà d’une maturité peu commune alors. On le sait, l’un des référence majeur de ce duo (trio même, avec Yasuo Otsuka, mythique directeur de l’animation) est le chef-d’oeuvre de Paul Grimault, Le Roi et l’oiseau dont l’inventivité formelle marchait main dans la main avec une vision adulte, quasi marxiste, du monde.

Ce fond dépressif qui infiltrera la plupart des films de Miyazaki et Takahata (jusqu’à son aspect le plus pur, le plus absolu dans Le Tombeau des lucioles) est, au delà de l’indéniable virtuosité formelle de chacun, ce qui fait le prix de ces deux cinéastes. La cruauté de certains Disney devait tout à l’univers des contes de fées. Le pessimisme fondamental des deux cinéastes, tapie derrière la joie et l’innocence de certains personnages, semble faire un pas de plus. Nul besoin d’être grand clerc pour se douter que l’impact traumatique du bombardement d’Hiroshima et Nagasaki est pour beaucoup dans cette conception de la vie et de l’art comme prise de conscience. La beauté d’Horus vient aussi de là : dans cet acharnement à parler, sous des dehors épiques et fantaisistes, des terreurs de notre modernité ambiguë.