Le film de travelos constitue un genre à part entière, où se bousculent comédies indigestes (Tootsie, Madame Doubtfire), pornos obscurs, nanars oubliés (le méconnu La Travestie, avec Zabou), divertissements classes (Victor, Victoria de Blake Edwards), essais underground (les ovnis de Jack Smith) ou encore musicals décalés (le génial Velvet goldmine de Todd Haynes). Hedwig and the angry inch, premier long métrage de John Cameron Mitchell, s’inscrit dans cette dernière catégorie, nouvel avatar d’une mouvance post-Ziggy Stardust que Bowie inaugura lui-même à travers ses clips et son rôle d’extra-terrestre androgyne dans L’Homme qui venait d’ailleurs (Nicholas Roeg, 1976). Adaptation d’un show théâtral devenu culte aux Etats-Unis, Hedwig… suit l’odyssée tragique et sexuelle de son héroïne éponyme, jeune Berlinois devenu femme pour les beaux yeux d’un G.I. afro-américain. Une opération aux allures de boucherie, puisque Hedwig en ressortira atrocement mutilée, un morceau de chair pantelante (the angry inch : le bout furieux) en guise de vagin artificiel. Flou identitaire et flops sentimentaux sont le quotidien de la pauvresse, promue chanteuse rock pour cause d’instinct mélodique et de mélancolie aiguë, puis plaquée par Tommy Gnosis, son ado d’amant qui lui vole ses compositions et s’impose en star néo-gothique.

Si le film échappe aux dangers de la mélasse mélo, c’est grâce à la fantaisie de son traitement, qui catalyse les émotions en une série de flambées pop du meilleur tonneau, à mi-chemin entre l’opéra-rock genre Tommy et les accents glam de Placebo. Le passé tourmenté de Hedwig, ses frasques foireuses et ses passions désenchantées peuplent le récit à la manière d’images-fantômes, jamais de plain-pied dans la narration mais doucement réactivées par la mémoire de l’héroïne en une sorte de gigantesque clip fantasmatique. Cette distance revendiquée avec le drame de la réalité transformé pour le coup en rêverie rock’n’roll fait de Hedwig… un objet souvent touchant mais quelque peu désincarné. Malgré sa volonté d’originalité (on retiendra quelques jolies séquences animées), la mise en scène manque de tranchant et d’ambition pour affirmer son décalage tout en préservant l’humanité de ses figures. Le goût de l’artifice, aussi sincère soit-il, condamne ces dernières à une irréalité trop revendiquée pour nous transporter comme on l’aurait souhaité.