Avec Head-on, chronique de la vie d’un couple paumé d’immigrés turcs en Allemagne, deux films en un. Le premier, Ours d’or au dernier Festival de Berlin (pas un bon présage, on se souvient du douloureux In this world l’an dernier), esthétique clinquante, sujet fort, événement annoncé des rubriques ciné de Télé Obs ou Cosmopolitain. C’est que la misère sociale, ici, rime avec glamour petit bourgeois (lui, top-model buriné, elle, ange assoiffé de chute et de perdition) et romantisme post-adolescent (la décadence toc résumée à quelques plans stroboscopiques en boîte de nuit ou un appartement Ikéa soigneusement transformé en chantier). Vrai problème, surtout : la mise en scène de Fatih Akin ne décolle que rarement pour atteindre avec peine l’académisme et le trash bon chic bon genre d’un Patrice Chéreau.

Mais sous le faux pamphlet punk et la fausse chronique misérabiliste demeure heureusement un tout autre film, film de personnages et d’acteurs essentiellement. Cahit, bloc de déchéance brute hanté par un amour perdu, Sibel, blanche beauté plombée par une famille musulmane étouffante : l’un et l’autre s’apprivoisent, d’abord de manière très artificielle (un mariage blanc pour fuir la famille de Sibel), puis se taquinent et se toisent gentiment, avant enfin de s’aimer d’une passion perdue d’avance. Le film est régi par une construction en chapitres -rencontre, mariage, cohabitation, naissance de l’amour, fait divers- qui, si elle semble a priori naïve, agit finalement comme issue de secours au conservatisme esthétique ambiant. Dès que ça patine, un autre chapitre, et avec lui nouvelle profondeur apportée au récit de départ. La belle idée est de renverser la traditionnelle fiction amoureuse (la passion et son délitement) en un récit mélodramatique d’apprentissage gonflant au fur et à mesure que les sentiments naissent. Pas le Pérou, mais le système est simple, efficace, et permet à Head-on de gagner en densité et en épaisseur à mesure qu’il progresse.

Au décompte final, le film se gorge progressivement d’une humanité qui est à la fois le signe d’une impressionnante direction d’acteur et d’un équilibre trouvé entre simplicité et fougue romanesque. Akin n’en fait jamais trop, dribble les clichés trop attendus, si bien que plus le récit se complexifie, plus sa mise en scène s’apaise et trouve un ton juste, très digne, loin de la complaisance promise. La justesse de l’interprétation prend peu à peu le pas sur les effets trop voyants d’une réalisation clippeuse, permettant à Head-on d’atteindre un niveau honorable de world-cinéma bon teint (on parle ici allemand, turc et anglais) à teneur minimale en démagogie et discours social frelaté. Pour un film allemand, Ours d’or qui plus est, cela relève déjà de l’exploit.