Trois copains – un tétraplégique, un cancéreux paralysé des jambes et un quasi-aveugle – décident de partir en vacances sans leurs mamans pour faire la route des vins jusqu’à l’étape ultime, un bordel handicap friendly où chacun pourra laisser sa virginité. Belge, puceau et handicapé : voilà un film qui ne partait pas vraiment avantagé. Mais, relevant le défi de ce synopsis a priori intenable, Hasta la vista mise précisément sur la malléabilité des clichés. Faire un film sur des puceaux dont la quête ne se résume pas tant à la perte de leur virginité qu’à la possibilité de devenir des puceaux comme les autres : c’est en suivant ce programme que le film réussit finalement à tracer sa voie, belle et surprenante.

Elle consiste avant tout à éviter la voie toute tracée d’un rythme ascendant jusqu’au happy-end gaga, pour se mettre au diapason de ses personnages en avançant avec l’enthousiasme inquiet des premières fois : partir à la recherche de ses fantasmes, osciller entre la surprise et la déception, avancer à l’aveugle sans jamais tenir linéairement une tonalité ou considérer le voyage comme réussi ou raté. Directement branché sur les réactions épidermiques du trio, le film épouse un rythme complètement cyclothymique – grande excitation qui débouche sur une aigre lucidité, refoulement du handicap et retour à la réalité du refoulé – qui le secoue jusqu’à l’épuisement. Et c’est très beau parce qu’avec un tel rythme, la joie qui prend le relais de la déception ne dédommage jamais que partiellement les personnages, lesquels s’alourdissent toujours plus du poids des tristesses passées. Le film donne ainsi l’impression de reculer plus qu’il n’avance, d’une usure physique autant que morale qui n’est jamais récupérée ailleurs. Cette énergie qui va en s’amenuisant renvoie à l’honnêteté avec laquelle est traitée le handicap : là où l’on aurait pu attendre une sorte de lent affranchissement au prix des illusions du pèlerinage, on est précisément dans la tendance inverse, dans l’hébétude épuisée du voyage et l’ironie du désespoir. De Chronicle à Hasta la vista, d’ailleurs, une scène revient : celle du puceau vomissant devant la fille inespérée soudain devenue accessible. Cette montagne de vomi – à la fois conséquence de l’alcool ou de la maladie et fatalité du puceau condamné à passer à côté des meilleures occasions de sa vie – dresse une frontière douloureuse, infranchissable, entre le puceau et sa sexualité ou, plus largement entre lui et la possibilité, entr’aperçue, d’une autre vie.

Ce pessimisme se nuance pourtant lui-même grâce à la logique du trio, esquissant plusieurs pistes et plusieurs conclusions qui se modèrent et s’interpellent entre elles, évitant à la fois de basculer dans l’angélisme (les scènes d’agressions injustifiées du trio sont très justement amenées) et dans le pessimisme complaisant qui n’en serait que le revers, tout aussi malhonnête. Au bout du voyage, difficile de se dire que quoi que ce soit a été résolu, et de voir, dans ce « hasta la vista » conclusif, autre chose qu’une manière pour celui qui le prononce de se retirer de la souffrance par une forme de dandysme. Hasta la vista ne se satisfait d’aucune illusion, surtout pas de celle qui consisterait à croire que le film de puceau s’arrête au constat victorieux de la virginité perdue (la sortie du bordel le montre très bien, jouant sur le cliché du gamin devenu homme puis redevenu gamin), et à ne pas voir son envers mélancolique : le puceau, en fait, aspire au rythme de la bête de sexe, et cette première fois ouvre le chapitre des fatigues et des blessures à venir.