Depuis le temps, la série des Harry Potter s’est imposée comme un genre à part, auquel on pourrait même soustraire les romans dont elle est l’adaptation ultra-fidèle. C’est un peu comme les James Bond : la structure change à peine d’un épisode à l’autre (Harry Potter doit récupérer un bibelot magique, via la rencontre d’un nouveau personnage, expérience cruciale pour affronter le super méchant au niveau supérieur) et le style oscille entre deux pôles. D’un côté, le kitsch halloweenien, chaleureux et surchargé des premiers opus de Chris Columbus ; de l’autre, un naturalisme à l’anglaise mâtiné d’un soupçon d’ambiance gothique – l’Alfonso Cuaron’s touch du troisième volet, reprise avec plus ou moins de doigté par le british David Yates.

Chaque épisode consiste ainsi à croiser les lignes, reprenant là la respiration des livres : Potter est mi-sorcier mi-humain, tentant de réconcilier deux mondes antagonistes. Et toujours comme pour un James Bond, l’intrigue importe moins que la réinterprétation de la petite musique. A ce stade on pourrait imaginer sans mal voir naître un épisode autonome pour le cinéma : tout le monde, hormis les fans de JK Rowling, n’y verrait que du feu, tant le déluge de personnages emblématiques finit par s’imposer comme un code visuel, reconnaissable de très loin, bien qu’incompréhensible dans le détail.

Cet épisode est, à cette aune, archi emblématique. Impossible à résumer alors qu’il ne s’agit pourtant que d’une moitié de livre, saturé d’un jargon imbitable, le film se révèle paradoxalement très épuré dans ses intentions, en tout cas davantage que dans les autres segments : plus sombre, plus grave, ouvertement mélancolique, là où ses prédécesseurs regorgeaient d’une vitalité un peu mécanique, avalant les rebondissements à un rythme boulimique. On sent bien que la fin imminente de la saga dérègle certains paramètres – le teen movie par exemple, habituellement glissé dans le double fond du récit d’aventures, et qui finit par s’éteindre. Potter se révèle un homme accompli, moins concerné par son corps qui change que par cette intuition de fin de parcours qui gangrène la musicalité habituelle des rebondissements.

Passé une petite heure classique, le film dérive d’ailleurs sur une troisième voie, en pleine nature sauvage. Il n’y a plus que Potter et ses deux acolytes, plus ou moins en cavale, sans savoir très bien comment revenir à l’action pure. Atmosphère vraiment étrange, sorte de cul-de-sac narratif, de trou noir qui, par ailleurs, synthétise l’entière mythologie de la saga, la ramenant à l’essentiel. Les gamins s’observent en chien de faïence, mi-agacés, mi-excités, l’esprit détraqué par un médaillon maléfique dont ils ne peuvent se débarrasser et qu’ils se refilent à tour de rôle, recueillant via un transistor les nouvelles du monde extérieur, tandis que des spectres frôlent leur cachette : des bad guys à leur recherche qui les sentent mais ne les voient pas, une biche luminescente, qui la nuit venue, guide Potter vers une marre d’eau glacée. Ce n’est pas Oncle Boonmee, mais presque : le film se vit comme un prélude iconoclaste à l’affrontement final, séquence un peu fantomatique à la fois marginale et imprévue. Il propose, surtout, une expérience visuelle d’une autre trempe que les sympathiques farces et attrapes servies depuis six films.