Au plaisir de retrouver ici Eric et Ramzy se mêlait une double appréhension. Il n’était guère rassurant, d’abord, de les voir embarqués sous le pavillon Europacorp. De Halal police d’Etat, Eric et Ramzy n’ont signé que le scénario, mis en image par un yes man de l’écurie Besson, et une telle configuration avait tout d’une menace : celle de voir le duo, après Steak puis Seuls two, retrouver l’enfer anonyme d’une production sans âme type Les Daltons. Là-dessus, le film rassure à moitié : s’il n’est pas très réussi (globalement pas très drôle, poussif, effroyablement mal mis en scène), il est indéniable en tout cas qu’il leur ressemble, et qu’Eric et Ramzy n’y sont visiblement pas au supplice. Inquiétude encore à l’idée de les voir s’aventurer sur un terrain qui leur est a priori peu familier, un terrain plus caricatural (ils campent une paire de flics du bled débarqués à Paris pour une enquête), et donc moins insulaire, moins autiste qu’à l’habitude – d’autant moins qu’avec un tel sujet, et avec la toile de fond antiraciste du film, c’est l’actualité qui s’invite, pour la première fois, dans leur univers. Le duo a fait sa fortune sur un exotisme qui lui est propre (et c’est un exotisme radical : étrangeté absolue de ces deux corps-là, résolus d’emblée à ne pas cadrer avec les canons, les logiques du comique national), alors l’idée de le voir soumis à un autre exotisme, plus fonctionnel (celui de la caricature, le comique par excès de signes, de clichés) avait de quoi inquiéter.

C’était sans compter sur leur capacité, même réduite, à dérégler ce canevas, à la plier malgré tout à l’étrangeté et à la forme de résistance absurde et systématique qui est leur marque. En blédard dégénéré, Ramzy est assez drôle mais d’emblée un détail frappe : il fait très mal l’accent du bled. Il en fait trop ou pas assez, en tout cas l’effet comique s’en trouve déplacé, reporté sur le flottement de la performance plutôt que sur l’efficacité de son exécution. C’est un trait maintenant bien connu du duo que cette logique déflationniste, qui consiste à renoncer au gag pour lui préférer ce flottement, et ouvrir avec lui un abîme où faire cohabiter la consternation et quelque chose d’un peu monstrueux, malaisant. C’est surtout un vrai problème pour la mise en scène, parce qu’il s’agit pour elle de se caler sur un tel rythme, d’épouser son indécision, d’arpenter en somme un chemin plein de trous. Cela fonctionnait à merveille dans Steak, que Dupieux dépliait entièrement depuis ce déséquilibre permanent, ouvrant au passage de belles poches lunaires et un peu effrayantes – c’est à ce jour le seul film à avoir su mettre à profit l’envers franchement inquiétant de leurs enfantillages.

Retour au malentendu avec Halal police d’Etat qui, assez bêtement, s’échine à aplatir ces torsions pour les ramener sur la chaine plus régulière du gag – lesquels gags, privés de leur revers, sont condamnés à n’être plus que ce qu’ils sont : des gags pas très drôles. Par moment quand même, le scénario seul réussit à ouvrir de belles parenthèses. La plus belle scène, typiquement, se déploie dans le prolongement d’un gag un peu raté. A l’hôtel, Eric prend son élan pour plonger, avec une allégresse d’enfant, sur le lit d’une chambre que leur présente le réceptionniste. Boum : Eric s’écrase dans un bruit sourd – la chambre était une chambre témoin, le lit en béton. Belle idée un peu plombée par la mise en scène, mais l’idée se prolonge, magnifiquement, un peu plus loin : dans leur chambre, Eric et Ramzy ont garni les meubles et la déco de post-its préventifs pour s’y retrouver (« mou », le lit ; « dur », le guéridon, etc.). Idem plus loin encore, quand l’irruption parfaitement aberrante d’un extraterrestre fait dériver le film, pour quelques minutes, du côté d’une réjouissante gratuité enfantine. Le reste, plus laborieux, n’en demeure pas moins sympathique, à condition de croire dans les vertus d’un abattage un peu nanardeux qui ferait d’Eric et Ramzy d’honnêtes héritiers du cinéma des Charlots – à condition, donc, de considérer qu’ils ne valent pas mieux que ça.