Alors que la trajectoire récente de Terry Gilliam s’avère plus que douteuse, ses jeunes disciples se réapproprient ses films avec une vigueur étonnante. C’est le cas de Garth Jennings, clipeur de la bande de Spike Jonze, qui a manifestement dévoré du Monty Python quand il était petit. Ainsi que l’hilarant livre culte de Douglas Adams, Le Guide du routard galactique. Odyssée de l’espace du genre déjanté, H2G2 en est ni plus ni moins l’adaptation officielle (avant sa disparition, en 2001, l’auteur avait semble-t-il consacré beaucoup de temps et d’énergie à ce projet qui voit donc enfin le jour) qu’on peut tout à faire voir, de fait, comme un bon décalque monty-pythonien, à peine réactualisé, sorte de Trivial Pursuit anémié dans la filmographie du réalisateur de Brazil. Anémié car le film, totalement décomplexé, ne tient pas plus que ça à réfléchir sur ses emprunts : l’une des missions des héros, chercher le sens de la vie, est à la fois pur MacGuffin et clin d’oeil archi-sec. Et Trivial car il n’aime rien moins que traverser un monde en perpétuelle mutation, d’une case ludique à l’autre. Pas de personnage ou presque, pas d’enjeu dramatique, seules les salves de vignettes tiennent lieu de pulsation fun.

C’est par cette joyeuse nonchalance que Garth Jennings marie l’absurde aux poses graphiques, remisant l’intellectualisation, voire même toute incarnation au niveau zéro. Les théories écolos de l’ouverture font craindre le pire en matière de délire chichiteux digne des plus mauvais scripts de Charlie Kaufman, où un narrateur explique la disparition des dauphins de la surface de la Terre par ras-le-bol de l’humanité. Mais la séquence n’existe que pour elle-même, déliée de toute posture, en apesanteur. La suite du film fonce tête baissée dans ce dadaïsme new age : en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, la terre est pulvérisée par les Volgons, aliens bureaucratiques qui ne voient dans notre planète qu’un obstacle galactique. Ne réchappent au massacre qu’un quidam et son meilleur ami, un routard extraterrestre pris en stop par un vaisseau en fuite.

Le film cherche alors malicieusement un cap, plutôt un flux d’images à remonter : la planète des Volgons, cathédrale Monty Python où fleurissent le carton pâte, les grands angles et les délires kafkaïens, le vaisseau spatial, home sweet home du futur, qui entre sa salle de bains, ses canapés blancs et ses instruments de bord n’est pas sans rappeler la Calypso de La Vie Aquatique. Délaissant ses personnages à une absurdité trop superficielle (pas un seul comédien ne transcende son personnage), Jennings ne cherchera plus que ça : une porte de sortie et un carburant filmique à la fois drôle et envoûtant, tissant un dédale de montagnes russes dont on ne connaît ni la trajectoire ni la longueur. C’est dans ces changements de braquets que le film trouve ses sommets, lorsqu’il s’arrime à un trip contemplatif, à l’image de la séquence finale, visite flamboyante d’une usine de planètes, ou quand les personnages s’échangent leurs points de vue via un fusil, dans une séquence de ping-pong comique parfaitement maîtrisée. Pas de doute, H2G2 consacre Garth Jennings petit maître.