Film-phare de la première période indépendante et hirsute de De Palma, avant que Sisters et Phantom of the paradise ne le propulsent sur le devant de la scène, Greetings nous parvient enfin après avoir été montré lors de l’intégrale du cinéaste à Beaubourg. Attention au piège de l’exhumation des œuvres de jeunesse : le refrain voudrait qu’au sein d’une oeuvre aussi riche que celle de De Palma, un film tourné à 28 ans soit un brouillon, au mieux une prémonition de ce qui allait suivre. Greetings n’est rien de tout cela. Il ne faut pas oublier non plus que s’il ne sort qu’aujourd’hui en France, il n’a rien du film maudit croupissant trente ans sur des étagères amnésiques. Il fut montré en Europe à l’époque, obtenant même l’Ours d’or à Berlin. Ni brouillon, ni bande-annonce, Greetings a pour lui sa forme élaborée -un amoncellement brillant de saynètes désinvoltes et bondissantes- et une vraie singularité de mise en scène qui le sépare, de facto, du style De Palma tel qu’on le connaît.

Ce long métrage, le troisième de son auteur, met en scène De Niro, juvénile moustachu, très beau, et deux de ses amis bien décidés à échapper à la guerre du Vietnam. De Palma s’attache surtout à flotter sur leur quotidien déambulatoire fait d’éphémères rencontres érotiques avec de fraîches jeunes filles. Si l’on tient vraiment à rattacher la première période du cinéaste au reste de son œuvre, alors Greetings pourrait faire l’affaire. Il suffirait de voir, par exemple, comment Blow up et la fascination pour l’image manquante et son fond flou, l’un des fils rouges par excellence chez De Palma (de Obsession à Snake eyes et Femme fatale, en passant par Carlito’s way et, bien sûr, Blow out) est « déjà présent » -comme on dit- et de manière explicite en plus : un personnage, persuadé de pouvoir résoudre le mystère de l’assassinat de JFK, expose sa théorie à l’aide d’images agrandies à l’extrême. Or, faire de l’image à déchiffrer la mère de tous les drames, ce serait manquer ce qui fait la singularité de Greetings. Certes la séquence joue déjà sur la dialectique maniériste entre surface clinquante et profondeur inquiète : au fond de l’image agrandie jusqu’à une sorte de pixellisation, une tache blanchâtre est arbitrairement identifiée à un homme portant un fusil. Mais De Palma semble davantage occupé par la célébration immédiate de l’image et de ses vertus coquines : de cette séquence, on ne retient que le prolongement, lorsque ce même jeune homme dessine sur le dos nu d’une fille assoupie le schéma balistique du meurtre présidentiel.

Greetings est d’abord, au nom d’un enthousiasme candide, un film de cinéphile placé sous le signe de la Nouvelle Vague française et de la modernité européenne qui frappent alors de plein fouet la génération dorée des jeunes loups du cinéma américain. Citations-sourires (une jeune fille feuillette le Hitchcock / Truffaut), reprise des motifs (glandouille intense, rencontres hasardeuses, irruption de personnages louches, sexualité estudiantine) et découpage-lego (champs-contrechamps excentriques, mise en scène volage à la moindre occasion) se mêlent joyeusement dans un bain jubilatoire où il n’est pas -pas encore- question de fracture, mais seulement de désir et de fraîcheur. Seule certitude alors : Greetings est un film d’une éclatante santé.