A quelques semaines d’intervalle, Noah Baumbach aura su dire une chose et son contraire. Ou plutôt en co-écrire une (le Fantastic Mr. Fox de Wes Anderson) et réaliser son antithèse : Greenberg, qui sort en salle ce mois-ci. Tout oppose les deux personnages principaux de ces deux films : un fantastique chef de clan adulé de tous et capable de tout (Fox) contre un loser esseulé, oisif antipathique et créateur de rien (Roger Greenberg, incarné par Ben Stiller). Mais ce contre-pied ne suffit pas à rendre l’oeuvre de Baumbach imperméable à la très existante influence andersonnienne – qu’on retrouve par tics (notamment dans l’usage de la musique ou l’euphémisation de la mise en caractère de certains des personnages, le reflet animalier, etc.).

Dépassée l’écorce Anderson (ici, plus Bottle rocket que Darjeeling), il se dégage pourtant de ce quatrième long-métrage une singularité et une candeur très attachantes. Le pitch : Roger Greenberg revient de New York où il a raté sa carrière musicale pour vivre à Los Angeles dans la maison délaissée de son frère parti en vacances. Il y rencontre Florence (une petite révélation : Greta Gerwig), 25 ans, chanteuse sans succès, et chargée de s’acquitter de différentes tâches pour maintenir la maison et le chien en état. Si dans Les Berkman se séparent, Baumbach citait La Maman et la putain et Blue Velvet, on serait ici plutôt du côté de La Collectionneuse de Rohmer (Baumbach revendique aussi Altman). Du moins Roger partage-t-il le désir de « ne rien faire » d’Adrien en vacances et l’hésitation morale et amoureuse triturant les héros des contes moraux (la divorcée ou la jeunette ?). Dépressif sous traitement médical, Greenberg est un inadapté, un vrai boulet en constant retard par rapport aux autres comme dans cette scène de fête où, plein de coke, il se mue en Dj et commence à passer les disques de ses vingt ans (Duran Duran, ce qui lui vaut une belle bagarre) quand on lui réclame du Korn et du Slipknot. Autre belle scène de décalage : au cours de cette même fête, Greenberg, de plus en plus shooté, laisse un très long message mi-amoureux sur le répondeur de Florence, qu’elle écoutera au petit matin devant lui.

Comme dans Les Berkman se séparent, Baumbach filme la crise existentielle, celle d’un quadra refusant d’admettre qu’il n’a plus vingt ans comme celle d’une jeune fille qui se meurt d’être trop seule. Chronique de plusieurs jeunesses (celle des années 90 et celle des années 2000) se rencontrant dans le présent, Greenberg est un joli film générationnel, la face obscure idéale des films de freaks à la Judd Apatow, n’exprimant plus que la bile noire de leur mélancolie, sans le rire.