Énorme carton aux États-Unis, Get Out est le dernier poulain de l’écurie Blumhouse, d’abord connue pour ses lucratives franchises d’épouvante (Paranormal Activity, Insidious), puis pour avoir brillamment lancé la carrière de Damien Chazelle (avec Whiplash) avant de ressusciter celle de M. Night Shyamalan (avec The Visit). Deux coups d’éclats à quoi il faudrait donc ajouter ce nouveau tour de force qui, après sa razzia sur le box office américain, nous arrive auréolé d’une intimidante réputation : pour certains, on aurait carrément trouvé en Jordan Peele le nouveau John Carpenter. 

Présenté comme une farce macabre sur le racisme contemporain, Get Out use délibérément du même point de départ que Devine qui vient dîner de Stanley Kramer (une belle et jeune Caucasienne présente à ses parents son petit ami noir, sans trop anticiper les réactions de rejet honteux que cette nouvelle va susciter chez eux), pour en moderniser et remodeler de fond en comble la trame. Son réalisateur la travestit ainsi d’un perpétuel voile d’humour grinçant (Jordan Peele est célèbre aux États-Unis pour son duo satirique Key and Peele), tout en lui creusant progressivement un double fond surnaturel (on reste chez Blumhouse, petite manufacture de frissons low cost).

Car contrairement à ce qui se passe en 1967, les parents de l’oie blanche accueillent ici le conjoint avec la plus grande joie, en accord avec leur esprit démocrate — ruraux mais cultivés, bourgeois mais progressistes, ils ont voté deux fois de suite pour Barack Obama, nous précise-t-on. Et cependant, quelque chose persiste à ne pas tourner rond dans ce foyer faussement hospitalier, au point de mettre la puce à l’oreille du convive comme du spectateur — à table, le frangin a quelques difficultés à retenir ses réflexes de redneck ; la nuit tombée, la mère abuse de ses talents d’hypnose entre les murs de son cabinet ; surtout, les domestiques (noirs eux aussi) ne se départissent jamais d’un comportement étrange, comme s’ils dissimulaient un secret.

Parfaitement conscient des résonances politiques de son film, Peele respecte au pied de la lettre le principe selon lequel le vernis horrifique agirait avant tout comme révélateur de l’inconscient honteux de l’Amérique. Les scènes les plus réussies de Get Out reposent ainsi sur une façon de tordre le cou aux stéréotypes pour en inverser ironiquement la signification (ainsi du très beau prologue où, dans la tranquillité nocturne d’un suburb cossu, un jeune noir égaré sent monter en lui une sensation de panique et de menace inavouables — traductions saisissante de la crainte de résurgences racistes sous l’ère Trump). Par la suite, ce sont fausses politesses et gestes déplacés, curiosités tendancieuses et regards insistants, provoqués par la présence de ce noir en territoire wasp et qui ouvrent progressivement des passerelles vers une intrigue surnaturelle digne des plus succulents Masters of Horror.

Comment expliquer alors que Get Out, malgré cet engageant programme et sa fidélité aux préceptes du genre, semble à l’arrivée d’une qualité si inégale, à la fois comme film d’horreur et comme brûlot contre l’hypocrisie de l’Amérique bon teint ? Déjà — et cela pardonne rarement dans cette catégorie — à cause d’une certaine maladresse d’exécution : à l’exception de quelques séquences, le film est très platement mis en scène, siphonnant toutes les manies de l’indie horrifique (scary shots et crissements de violons à foison) pour les régurgiter aléatoirement dans une terne atmosphère de gothique domestique. Les contours du mystère animant cette communauté de cinglés se devinent assez vite, avant que le récit ne se laisse étirer au-delà du raisonnable par une suite de péripéties désagréablement infusées par l’ironie télévisuelle de son époque (toute la dernière partie ressemble à une articulation décousue de sketchs).

À trop se laisser emporter par son inspiration, le film étiole son efficacité de départ. C’est comme si toutes les tonalités touillées par la mise en scène finissaient par se neutraliser au lieu de s’amplifier. On pense d’ailleurs un peu à Tarantino, et notamment à Django Unchained, dont le finale en forme de revenge sanguinolent et cathartique est cité sans ambages dans Get Out. Mais si la comparaison tourne court, c’est parce que précisément dans le cinéma de Tarantino, la grandiloquence des formes se fait toujours au profit de la finesse des arrangements : figures et mythologies s’y retrouvent acculées à la pointe aiguë de la satire, où se rejoignent la caricature la plus outrée et la sophistication d’esprit la plus ample.

Dans Get Out, a contrario, la petite emphase sardonique qui habite chaque personnage les empêche de révéler leur véritable monstruosité. Sous l’épais maquillage de l’allégorie fantastique, le film manque de tranchant et de méchanceté pour potentialiser la violence de ses enjeux (le racisme, ses déclinaisons et mutations constantes), et se condamne dès lors à ne jamais dépasser la vision parodique et simplificatrice de ses intentions. Dans le fond, c’est un peu dommage, tant son sujet et l’actualité l’invitaient à être à la hauteur de sa renommée. Et bien que l’essentiel soit assuré (le démarrage du film, en France, s’est fait sur les chapeaux de roues), on n’est pas certain que cette réputation de film culte soit suffisante, à terme, pour faire oublier sa réalité de série B vaguement ratée.

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