« Ma conscience n’est pas traversée de vérités décisives. Cependant, en toute sérénité, je pense qu’il serait bon que certaines choses soient dites. Ces choses je vais les dire, non les crier, car depuis longtemps le cri est sorti de ma vie. » Ce qu’il désirait tant dire, Frantz Fanon l’a non seulement écrit mais aussi mis en action : psychiatre d’origine antillaise, il fut un ardent défenseur de l’anticolonialisme.
Combattant avec les Forces Françaises Libres pendant la Seconde Guerre Mondiale, il étudie par la suite la médecine en France et publie en 1952, à 27 ans, Peau Noire, Masque blanc, dénonçant l’aliénation des antillais qui désirent ressembler au colonisateur. Muté en Algérie, il se rallie rapidement au FLN jusqu’à démissionner de son poste de médecin-chef en 1956. Engagé plus avant dans les combats, Frantz Fanon rédige Les damnés de la Terre, ouvrage qui deviendra le manifeste des jeunes révolutionnaires du tiers-monde et des Blacks Panters américains. Décédé prématurément d’une leucémie, en 1961, cet ami du couple Sartre-Beauvoir est peu connu aujourd’hui en France.
C’est son destin entre action et écriture que nous présente le film documentaire, Frantz Fanon, peau noire masque blanc réalisé par Isaac Julien. Le plus étonnant, c’est que ce portrait nous vient de Grande-Bretagne. Voir certains des amis français de Fanon s’exprimer dans un anglais approximatif sous-titré en français pose question : pourquoi Fanon serait-il reconnu dans le monde anglo-saxon et en Algérie, où le titre de martyr de la révolution lui fut attribué, et quasiment ignoré en France, au point que certains de ses ouvrages ne sont pas réédités ? Certes, ce point de vue peut paraître un peu franco-centriste mais son éviction rend ce film assez superficiel. Quelques interviews saupoudrées d’images d’archives et l’utilisation d’un acteur pour incarner le personnage de Frantz nous permettent tout juste de saisir quelle fut sa vie et son œuvre.
Le film d’Isaac Julien est en quelque sorte une agréable initiation à la complexe personnalité de Frantz Fanon, libérateur des colonisés de toutes les couleurs. Aux français d’aujourd’hui -ou qui le furent hier- de questionner maintenant le lien brisé avec cet homme considéré alors comme un traître par l’armée française…