Avec Fiona, Amos Kollek nous livre un nouveau portrait de femme à la dérive, avec, dans le rôle titre, Anna Thomson, déjà interprète et sœur de Sue, héroïne du premier volet réunissant la comédienne et le réalisateur. Moi, Fiona, 31 ans, droguée, prostituée : voilà présenté le chemin de croix d’une pauvre fille abandonnée à sa naissance, violée dès l’âge de neuf ans par son père adoptif, vendant son corps pour subsister, fumant du crack pour résister.

Afin de mieux évoquer Fiona, Kollek et son actrice se mettent en danger, se confrontent à la violence et à la marginalité avec une sorte de pessimisme brutal et souvent insoutenable ; comme s’il s’agissait d’accréditer sans cesse et par tous les moyens la thèse d’un monde glauque et désespéré. Formellement déjà, Fiona se caractérise par le grain poisseux du 16 mm gonflé en 35 mm, une caméra portée à l’épaule, un style presque documentaire. En l’occurrence, le film travaille sur la perméabilité de la fiction par rapport à la vie : la plupart des personnages entourant la protagoniste font véritablement partie de l’univers interlope dans lequel le récit est censé se dérouler. Putes, paumés et toxicos new-yorkais prêtent ainsi leur visage marqué et leur chair fatiguée à la caméra d’Amos Kollek, ce qui confère à son œuvre une force indéniable. Là où Sue perdue dans Manhattan pêchait par des ficelles scénaristiques maladroites et des figures secondaires factices, Fiona puise sa cohérence dans son obédience au réel. Au sein de cet univers de malheur, Anna Thomson construit, investit et s’approprie Fiona avec un courage et une intensité rares, de sorte que l’on se demande si c’est l’actrice qui est imprégnée de son personnage ou le contraire.

Mais la radicalité sombre du film de Kollek empêche d’adhérer totalement à sa proposition de cinéma : en ne laissant aucune issue à ses créatures dont les destinées sont seulement mues par la perdition, la douleur et l’humiliation, le cinéaste finit presque par les désidentifier. Certes, la norme de la misère existe bel et bien, mais elle réduit ici les êtres à des aimants à poisse, récoltant toute l’horreur de la société contemporaine, de l’exclusion au suicide, sans jamais se révolter, puisqu’ils sont vaincus d’avance. On ressort donc anéanti de l’expérience Fiona, au sein de laquelle les petits bonheurs (la douceur de caresses sexuelles, la joie d’un larcin) sont condamnés à l’éphémère, d’ores et déjà gangrenés par la mort au travail.