Étrange bilan pour Fast and Furious 7 : un décès, un baptême. La tribu de Vin Diesel revient en portant le deuil de Paul Walker (disparu dans un crash avant la fin du tournage), en même temps qu’elle accueille James Wan, parachuté aux manettes de la franchise. Disons-le tout de suite : l’arrivée du petit maître n’a rien d’une réforme de fond pour la saga. Bien qu’ayant vogué d’un genre à l’autre avec une relative souplesse (de Saw à Death Sentence, sympathique résurgence du vigilante movie), Wan ne peut pas grand-chose face à la charte rigide de Fast and Furious : ils sont toujours là, les cortèges de pépées offertes aux cadors du drift, et les V8 vrombissant sous le capot lustré des Dodge Charger. S’il n’égratigne pas vraiment cette clinquante mythologie, Wan atteint en revanche un niveau de raffinement technique inédit dans la série. Rien n’indiquait qu’il saurait franchir le mur du son, et pourtant quelques trouvailles peut-être héritées de l’épouvante doloriste l’autorisent à perturber un peu le grand robinet à visions putassières, tout en se réglant sur la cadence frénétique des précédents films. Guidé par une logique d’épuisement, le ride se change en épreuve nauséeuse, aussi esquintante qu’un long torture-porn supersonique.

Mais la puissance des courses-poursuites ne tient pas seulement au curriculum de James Wan. Si on s’implique volontiers dans chacun de ces dérapages dantesques, c’est que tout le film est irrigué par une invisible force morbide. D’abord, pour qui ignore les astuces dont a usé la production suite à la mort de Paul Walker (les réécritures et retakes mises en chantier immédiatement après la tragédie), FF7 s’offre comme un numéro d’équilibriste aussi haletant que pervers : à chaque prouesse du défunt, on s’attend à le voir faillir pour la première fois, pris de vitesse et fauché par un typhon de tôle froissée (ce qui justifierait le plus simplement du monde son éjection de la saga, sur le mode : les héros sont parfois mortels). Impossible, donc, de ne pas guetter à chaque nanoseconde la marche que ratera l’athlète et qui le soustraira définitivement à nos regards. La moindre sortie de route s’accompagne ainsi d’une incertitude absolue et scabreuse, et quand le bus blindé dans lequel est enfermé Walker patine au bord d’un précipice (meilleure scène du film haut la main), le vide s’alourdit subitement de particules contraires, mixte d’ivresse et d’angoisse mortifère.

À ces solides liens d’empathie créés de fait avec l’action hero, un vertige d’ordre métaphysique vient se greffer insidieusement. Alors que la réalité aurait pu ici faire écran –  on sait désormais que l’acteur est faillible, d’autant qu’il doit sa mort à une Porsche expédiée aux fraises -, c’est l’effet inverse qui se produit. Consciemment ou pas, le film semble entretenir un jeu de superposition entre le sort tragique de Walker et la survie magnifique de Brian O’Conner, miraculé permanent qui s’exfiltre de chaque bourbier en malmenant les principes gravitationnels. On le donne pour mort à chaque cabriole, et pourtant il s’entête à refuser l’issue fatale, clamant en sourdine que les héros d’action demeurent bel et bien incassables. Les circuits sauvages de FF7, hauteurs ravinées de Californie ou palaces cossus des Émirats, s’apparentent alors à un outremonde parallèle où la mort est impossible, et où Walker déjoue son destin avec l’agilité d’un spectre funambule.

Le pouvoir de la vitesse et l’importance de la famille (soit les deux antennes thématiques de la franchise depuis ses débuts) trouvent ainsi une nouvelle résonance. Le patriarche Dom (Diesel) le professe lui-même, contemplant la vallée de San Fernando flanqué de son gang de mâles alphas : « on dirait que les fantômes nous rattrapent ». Voilà peut-être le sens de la fuite aveugle qui occupe le clan depuis le premier film : conjurer leur propre mortalité par la vitesse, s’éviter un devenir-spectre grâce à l’échappée en bande. On ne survit qu’en famille : c’est ce que rappelle Diesel à Statham, bad guy revanchard qui lui tend dangereusement la main (« je n’ai pas d’amis, je n’ai qu’une famille »). La seule autre chance de salut est entrevue par le film, c’est la fondation d’une « vraie » famille, statique celle-ci – mais, sans trop en dire, l’épilogue suggérera que le choix de décélérer pour mener une vie rangée loin des circuits revient pareillement, en un sens, à prendre son aller simple pour le ciel. L’idée, quoique vaguement obscène, est aussi très émouvante, et permet à James Wan, qui avait pourtant promis de quitter les terres du fantastique après Insidious 2, de trouver matière à un dernier film de fantômes.