Vraisemblablement, le cinéma est entré dans l’ère du duplicata. On ne compte plus de nos jours les films qui n’aspirent qu’à vampiriser sans gêne les réussites du box-office, avant de sombrer dans l’oubli, bien repus. Face est l’un d’eux… Suçant la moelle des nullités les plus en vogue, Face transpire à la fois Trainspotting dans la forme, et Usual Suspects dans l’idée. En perspective, un pot-pourri très pourri…

Le scénario, explicitement pompé sur celui de Bryan Singer, s’inscrit pleinement dans la tendance du « trust no one movie », dont le principe est simple -le méchant, c’est pas celui qu’on croit- et la morale limpide -méfie-toi de tout le monde, même (et surtout) de ta grand-mère. Sur cette base paranoïaque bon marché, le film se construit autour du thème surexploité d’un cass perpétré par cinq hommes, parmi lesquels se cache un traître insoupçonnable. L’identité de celui-ci, évidemment, est la fragile clé de voûte du film. Qu’importe la pauvreté intellectuelle de la « Kaiser Söze Mania » (ou de la « Prisonnière espagnole way », au choix), il a été prouvé qu’elle peut rapporter gros.

Dans sa course au fric, Face a opté pour un style racoleur, multipliant les scènes rapides et saccadées (mais dépourvues de toute intensité, on a juste l’impression que le cameraman a la tourista), et entrecoupant le fil tordu de l’histoire par une bande sonore de Prisunic (imitation Clapton, imitation Massive Attack, etc.) qui crée au sein du film de petits clips hétérogènes à la fente diégétique ambiante, mais d’une semblable qualité. De la même veine que le Danny Boyle, Face va à « 200 à l’heure » et joue les juke-box assourdissants pour bien faire passer la pilule de la nullité, rafraîchissant un peu le désert créatif au milieu duquel il rampe. Si le film prenait son temps, le spectateur aurait tôt fait de se réveiller et de contempler avec horreur le vide qui se vend à lui.

Pourtant, Face aurait gagné à n’être qu’une pâle copie sans ambition. Les moments les plus enrageants restent en effet ceux où le film cherche à s’engager en nous délivrant un pseudo-message socio-politique d’une écœurante ingénuité. Voyez plutôt : Robert Carlyre (dont la carrière frise décidément la chute libre), personnage principal de Face, est un gentil malfaiteur, corrompu par la méchante société des hommes : sa maman est de toutes les manifestations humanistes, sa jolie copine travaille bénévolement dans un orphelinat, lui-même vole aux riches pour donner aux pauvres. Il nous faut donc pardonner à ce jeune Robin des Bois des temps modernes de n’écouter que la loi de son cœur ; pardonnons aussi à ses acolytes, qui ne sont au fond que de sympathiques prolos, de perdre la tête devant le magot du hold-up, jusqu’à se trahir les uns les autres (Seigneur, ce ne sont que de pauvres victimes…). L’argent pourrit les gens ? Cela est fort possible, reste que la mécanique économique du monde moderne n’est peut-être pas aussi élémentaire et gagnerait à être abordée avec plus de réflexion et moins de démagogie. Mais qu’à cela ne tienne ! Adhérons vivement à la douce et simple morale décérébrée de Face

L’argent pourrit les gens, soit. Alors, ne prenons pas le risque de pervertir la fraîcheur et la talentueuse naïveté d’Antonia Bird : évitons d’engraisser son film ! Même si certains souhaitent ardemment (et à juste titre) voir le chanteur de Blur dans une mare de sang, qu’ils tiennent bon ! Damon Albran n’a qu’un petit rôle dans Face : la jouissance est courte. Si toutefois la curiosité du spectateur avait raison de son bon sens, l’heure sera venue pour lui d’affronter la médiocrité de Face.