La casse ou le musée ? A quoi sont voués ces corps-là, jadis assemblés dans l’usine des années Reagan, aujourd’hui ruines de chairs boursouflées, tristes pachydermes, encombrantes carcasses ? Quelle place pour pareils monstres – au sens retenu par la voirie pour désigner les machines obsolètes qu’on abandonne sur les trottoirs ? The Expendables (approximativement : les « consommables ») commence avec la même question que Rocky Balboa et John Rambo et, comme eux, il choisit de ne pas répondre : les héros sont bons pour la casse et le musée, ils sont usés et mythologiques, mais qu’importe après tout, c’est autre chose qui intéresse Stallone. Ce qui l’intéresse tient dans une question plus modeste, plus simple : que sont-ils devenus ? Question quasiment documentaire, comme s’il s’agissait simplement, à chaque fois, d’aller rendre visite aux idoles sur les lieux anonymes de leur retraite, là où, tandis qu’il n’y avait plus personne pour les regarder, elles ont vieilli. Depuis les glorieuses années 80, la vie a continué, voilà tout, Rocky sert des pizzas, Rambo se repose en Thaïlande, allons prendre des nouvelles.

Dans The Expendables, les carcasses sont plus nombreuses, c’est une équipée de choc de mercenaires tout droit sortis d’une production Cannon. Le film commence au milieu d’une mission, l’entrée en matière est bourrine et efficace, mais le plus beau vient après, dans le garage à moto où les colosses, entre deux contrats, viennent souffler un peu, causer filles et psychothérapie. Dans le garage, ils ont l’air d’un club de mécanos à la retraite (toile de fond prolétarienne à laquelle ont habitué les films de Stallone), et la mise en scène y gagne une belle idée. Les vraies bécanes, évidemment, ce sont eux, les expendables, mécaniques vintage, pétaradantes et customisées à mort (tatouées des mêmes motifs que leurs montures, par un Mickey Rourke pas vraiment revenu de The Wrestler). Cette idée, que le film tient tout du long, est d’autant plus séduisante qu’elle est moins ironique que vraiment émouvante. L’ironie, de toute façon, n’a jamais été le terrain de Stallone – c’était celui de Schwarzenegger, qui justement vient l’occuper le temps d’un caméo bref et parfait.

C’est dans ces moments-là que Stallone est le meilleur, dans les coulisses, dans le portrait de groupe où parfois, le film prend de jolis accents hawksiens. Le choix de Jason Statham, par exemple, est assez judicieux. Il est un peu exotique ici, parce que c’est le seul corps à raccorder à l’époque (le seul aussi, logiquement, à enfourcher une bécane moderne), alors on aurait pu s’attendre à ce qu’il ne serve, par dérision, qu’à souligner l’anachronisme des autres. C’est à peine le cas, Stallone préférant dessiner entre lui et son propre personnage (un peu en retrait et impérial), un beau couple de professionnels. Pour le reste (c’est-à-dire la grosse moitié du film, quand il s’agit d’aller corriger un dictateur en Amérique latine, pour un finale à la Commando pas plus avare en tripailles que le dernier Rambo), le film atteint avec un panache indéniable l’objectif qu’avaient fixé pour lui tous les fans de la planète : bim, bam, boum.