Si Elle s’appelait Sarah, le roman de Tatiana de Rosnay, est devenu le best seller international qu’on sait et qui justifie cette adaptation, c’est qu’il reposait sur une construction fictionnelle plutôt accrocheuse et déployait une matière romanesque assez dense pour séduire le plus large lectorat possible. Soit une histoire qui superpose deux époques (la Seconde guerre et la nôtre) et met en scène deux types de personnages : d’un côté les victimes de l’Histoire ; de l’autre, ceux qui viennent après l’Histoire et qui lui sont plutôt indifférents, à part une (Julia, l’héroïne journaliste impeccablement incarnée ici par Kristin Scott Thomas) dont l’existence bourgeoise et tranquille va être bouleversée par ce qu’elle découvre d’une fillette juive raflée le 16 juillet 1942 et parquée avec ses parents au Vel d’Hiv avant sa déportation. Pour faire court, la force du livre était aussi sa faiblesse : d’un point de vue narratif, la machine était certes efficace, mais c’était une mécanique huilée, la romancière cumulant sur la corde raide presque tous les clichés de son sujet – la mémoire de la Shoah – pour en faire une fiction mainstream à vocation world. Que devient ce mainstream quand il passe dans le tamis du cinéma français de qualité ? Un film plus que convenable, souvent juste et beaucoup moins conventionnel que prévu.

On sait le double écueil de bonnes intentions qui guette ce genre d’adaptation. Primo : tirer les larmes du spectateur en lui imposant une commémoration civique et rassurante qui ne prêche que des convertis. Secundo : jouer la carte de la reconstitution historique minutieuse pour montrer l’Histoire telle qu’elle s’est réellement passée aux « générations futures ». La bonne nouvelle est que Paquet-Brenner échappe largement à ces défauts connus. D’abord, il met d’emblée en abîme le devoir de mémoire qui justifie son film : les deux jeunes journalistes américains qui travaillent avec Julia n’ont jamais entendu parler du Vel d’Hiv, ni du gouvernement de Vichy et quand ils apprennent ce qui s’est passé, ils sortent les clichés à la mode : « Comment les gens ont-ils pu laisser faire ça en plein Paris sans réagir ? ». Le personnage de Julia évolue donc dans un terrain mémoriel qui n’est jamais acquis – sa belle-famille ordinaire, son mari sympathique mais falot, sa fille ado passive – ce qui donne une nécessité aux scènes de reconstitution, lesquelles tranchent assez avec les habituels codes soft télévisuels et fonctionnent comme autant de révélations sauvages pour le personnage et le spectateur qui cheminent ensemble vers la vérité de Sarah. La reconstitution joue certes les effets de réel avec caméra à l’épaule et tout le tremblement, mais elle insiste aussi sur des détails rarement montrés : le suicide violent d’une femme au Vel d’hiv, une autre qui se mutile pour sortir avec une infirmière conciliante, un vieil homme raflé qui exhibe sa bague pleine de poison et dit aux autres qu’il choisira seul le moment de sa mort. Les bousculades violentes au camp de Beaune-La-Rolande entre les gendarmes français et les femmes au moment où on leur enlève leurs enfants sont encore à mettre au crédit du film qui choisit la manière frontale plutôt que l’allusion et l’ellipse faciles.

Quant à la seconde partie qui raconte l’enquête de Julia aux Etats-Unis et en Italie pour découvrir ce qu’est devenue Sarah et rencontrer ceux qui l’ont connu, elle est d’une étonnante sobriété, quasi documentaire. La quête d’une ascendance juive imaginaire par le personnage de Scott Thomas qui abandonne sa vie sociale et familiale, frappée intimement par le secret de Sarah, apparaît alors clairement comme le grand sujet du film. Comme le jeune cadre de La Question humaine de Nicolas Klotz il y a deux ans, le personnage de Scott Thomas est atteinte par la Shoah, malade de l’Histoire. On aurait aimé que Paquet-Brenner insiste davantage sur ce versant pathologique de son récit. Il ne faut peut-être pas trop en demander.