Los Angeles : avant d’être d’expulsée, une sans-papiers mexicaine implore un brave flic de s’occuper de son fils. Une lycéenne originaire du Bangladesh s’attire les soupçons du FBI à la suite d’un exposé grinçant sur le 11/09. Une jeune actrice australienne tente de décrocher sa green card en couchant avec un haut fonctionnaire manipulateur. L’épouse de ce dernier voudrait adopter une petite Africaine, tandis qu’un chanteur anglais se fait passer pour juif pratiquant, et qu’un immigré coréen, à deux jours de sa naturalisation américaine, n’est pas loin de tout faire foirer en braquant un mini market avec ses copains.

L’immigration clandestine déployée en hasards et coïncidences : l’exercice, à côté duquel une émission de M6 passerait pour subtile et luthérienne, confisque au réalisateur Wayne Kramer, artisan d’habitude plutôt sympa (Lady chance, version poissarde, modeste et intimiste du Casino de Scorsese), la moindre marge de manoeuvre. À ce degré de conformisme aux canons du film choral hollywoodien, Droit de passage s’impose comme un modèle de choix, parfaitement téléguidé. Tous les trucs et astuces du genre sont savamment orchestrés, rythmés ad hoc, toujours sur le fil d’une ringardise lelouchienne : dosage scientifique entre guigne et coups de bol, salauds et types sympas, obsession de la sociologie, de la fable, et saucissonnage grandiloquent de l’espace-temps – jusqu’au finale qui réunit les personnages dans une sale polyvalente où une masse d’étrangers, en larmes, jure fidélité à la bannière étoilée.

Derrière ce grand tableau sociétal où l’obligation de consensus l’emporte sur tout, le film est aussi limpide quant à ses intentions secondaires. Les acteurs y voient l’occasion d’une relance inespérée (Ashley Judd) ou, pour certains d’entre eux, d’une transition en douceur. Jusqu’alors cramponné au film d’action avec une crispation qui confine à l’entêtement pathétique (le dernier Indiana Jones), Harrison Ford se dirige ouvertement vers le registre eastwoodien du vieux flic patriarche en pré retraite, pleurant son impuissance devant la détresse des immigrés mexicains qu’il arrête tous les jours. Pur opportunisme qu’une telle posture, puisqu’elle se limite à un banal photocopiage, repris à plus grande échelle par le film qui, pour sa partie asiatique, repompe sans vergogne Gran torino (le petit coréen perverti par ses cousins délinquants à casquettes). Ray Liotta intrigue davantage en éternel salaud, composant un prédateur sexuel terrifiant d’ambiguïté, mi-ogre mi-petit-bourgeois. Et puis quelque chose d’indéfinissable a changé sur son visage, une peau anormalement froissée, presque brûlée, stigmate d’une ringardisation avancée, mutation digne d’un héros de Cronenberg. Le reste du film est, hélas, nettement plus lisse.