A près de 75 ans, Robert Altman n’a rien perdu de sa verve. Son dernier film, Dr T et les femmes, est une nouvelle preuve de l’excellente santé de ce cinéaste américain majeur, truculent analyste d’un Sud qui le passionne toujours autant. Après s’être récemment intéressé à la région de Nashville dans Gingerbread man, puis au Mississippi dans le très beau Cookie’s fortune, Altman pose sa caméra à Dallas, prospère ville du Texas. L’occasion de nous livrer un hilarant portrait de femmes à travers les mésaventures du docteur T, un séduisant gynécologue.

Dès les premières images du film, Altman plonge brutalement le spectateur au cœur du remue-ménage qui règne dans le cabinet bondé de ce fameux médecin, véritable point de ralliement de tout ce que Dallas compte de bourgeoises désœuvrées. Entre une énième séance de shopping au centre commercial et un rendez-vous chez le coiffeur, ces dames endimanchées ne ratent pas une occasion de rendre visite au docteur T, qui doit faire face à un défilé pittoresque de malades souvent imaginaires. En un long plan-séquence, Altman retranscrit avec virtuosité l’agitation de la salle d’attente et passe d’un personnage à l’autre avec la fluidité qui caractérise son style -un de ses précédents opus, Short cuts, étant considéré par beaucoup comme un sommet du film choral. Il n’est pourtant pas question ici de récits entrecroisés puisque toute l’action se concentre autour du personnage incarné par Richard Gere, parfait dans le rôle du gynécologue distingué, à l’écoute de ses patientes et jamais avare en compliments bien servis. Filmer sans interruption le grouillement qui règne dans le cabinet médical permet à Robert Altman de créer un véritable tourbillon féminin qui résume à lui seul l’existence journalière du docteur T.

On pense à l’ambiance de poulailler qui caractérisait le centre de soins esthétiques filmé par Georges Cukor dans Femmes (1939). Mais le rapprochement tourne court : alors que ce dernier comparait de manière assez misogyne chacun de ses personnages avec un animal lors d’un mémorable générique qui en disait long sur sa vision de l’univers féminin, Altman s’adonne à la caricature sans jamais succomber au mépris. Chaque femme qui entoure notre héros possède une fragilité qui contrecarre tout jugement hâtif : de la belle-sœur shootée au champagne (mémorable Laura Dern dont les tenues « froufroutées » valent tous les développements psychologiques sur le quotidien d’une haute bourgeoise) à l’épouse tombée en enfance pour « retrouver le mystère qu’une vie comblée auprès d’un mari aimant a effacé ». Surtout, Dr T et les femmes révèle une nouvelle fois l’art d’Altman pour les mises en situation drôles et décalées (avec en point d’orgue : l’auscultation mouvementée par le docteur T de la petite amie de sa fille dont il vient tout juste d’apprendre l’homosexualité). On est donc loin du règlement de compte gratuit avec la gent féminine. D’autant plus que le cinéaste ne fait pas de cadeaux aux hommes, seulement représentés par les compagnons de chasse un peu lourdauds du héros. Robert Altman fait preuve d’un tel enjouement dans ses descriptions qu’on le croit volontiers lorsqu’il déclare en préambule du dossier de presse : « Dr T et les femmes est ma lettre d’amour aux femmes de Dallas, Texas. »