Le moins que l’on puisse de l’affiche du film (un jeune homme torse nu, nez à nez avec une vache) est qu’elle suscite l’interrogation. Le titre ne nous en dit guère plus. En revanche, la mention « Prix Jean Vigo 1998 » attire notre curiosité et propose une lecture de l’affiche sous un angle social, contestataire : « ce jeune homme essaierait-il de comprendre le monde qui l’entoure dans le regard d’une vache ? ». Le Prix Jean Vigo vient récompenser depuis 47 ans un film d’auteur dont le style, le propos, la position dans la production française serait définie comme étant en marge. Dis-moi que je rêve, sélectionné à Cannes dans la section Un Certain regard, répond à ces critères.

En Haute-Savoie, une famille de paysans est suivie par un thérapeute de groupe qui essaie de trouver des solutions aux problèmes relationnels dûs au caractère de Julien, jeune homme de 19 ans, associal frôlant par moment la débilité légère. Tout va changer lorsqu’un secret de famille va être révélé : Julien, Marion et Yannick ont un grand frère, Jules, handicapé physique, enfermé depuis sa naissance dans un asile.

Le désordre de la première séquence donne le ton au film en lui insufflant un rythme soutenu, proche, toutes proportions gardées, des premières scènes du dernier film de Patrice Chéreau, véritable hymne au mouvement. Dans cette famille de paysans, rien ne peut être statique, tout pousse au bruit, à l’agitation : trois enfants bruyants, les maladresses de Julien, les réflexions grinçantes de la grand-mère, les obligations que la vie de paysans impose… Claude Mouriéras a su imprimer ce rythme au film, bien que la seconde partie (rencontre de Jules et Julien) soit parfois lente, et surtout se révèle plus prévisible, plus convenue que la première partie, gaie et légère. Ce ton juste vient probablement de la richesse du scénario, qui par petites touches se révèle souvent efficace. Ainsi, dans une courte scène, Luc rencontre une infirmière algérienne qui collecte des signatures pour dénoncer les massacres en Algérie. Le fait que ce sujet soit évoqué dans cette petite ville rurale, au hasard d’une rencontre, donne un poids à cette dénonciation absente parfois de films qui se veulent ouvertement contestataires. L’introduction de scènes filmées au camescope par le thérapeute rajoute également une dimension aux personnges, qui se livrent avec plus ou moins de bonne volonté à une introspection. Les personnages ont tous une histoire liée à Julien, tous un passé, des rêves et là aussi il faut le souligner, car combien de films en effet, proposent des personnages inconsistants, sans épaisseur, insipides… incrédibles. Ici, Luc a connu des frustations, un passé politique : admirateur des cosmonautes, il aurait voulu comme eux défendre le drapeau rouge dans les étoiles. Jeanne s’interroge sur sa capacité de séduction, possède un lourd secret lié à Jules, son premier enfant handicapé…

Ces personnages sont servis par une interprétation irréprochable, tellement juste que certains ont pu penser que tous les comédiens étaient des non professionnels. Or, Jeanne est interprétée par Muriel Mayette, sociétaire de la Comédie-Française, théâtre qui a peu vu, dans son histoire, des Comédiens français interpréter des rôles de paysans. Luc est incarné par Frédéric Pierrot, un des rares acteurs justes dans des rôles de prolétaires, de révoltés que l’on a vu dans Capitaine Conan de Tavernier ou Land and Freedom de Ken Loach. Cédric Vieira, élève au Conservatoire National, a relevé le défi de jouer le rôle de Jules, -le frère handicapé physique- avec beaucoup d’authenticité. Quant aux rôles de Marion, Yannick et la grand-mère, Claude Mouriéras a su trouver des non professionnels qui se sont parfaitement adaptés à sa mise en scène.

Après La Vie de Jésus de Dumont, lauréat du Vigo en 97, Dis moi que je rêve continue de tracer le sillon social du cinéma français. Tous les clichés liés au monde paysan sont absents du film, oeuvre ambitieuse qui a su mêler la comédie et le symbolique à un ancrage dans le réel.