On taille un diamant et le film insiste sur l’œil, multiplié sur les facettes de la pierre. C’est l’oeil du personnage principal, oeil perçant (Pier, le personnage, est un cambrioleur méticuleux qui reverse son savoir-faire dans la joaillerie) et néanmoins malade (d’un abcès autant que d’une douloureuse image mentale, qui remonte à l’enfance et nourrit un projet fébrile de vengeance), et si le film y insiste c’est parce qu’il en fait un motif où résumer à peu près toutes ses ambitions: l’oeil est la clef de l’histoire et en même temps l’indice d’un admirable souci de précision. Mais autant que l’oeil, le film regarde la main, avec un intérêt égal quoique moins démonstratif.

C’est pourtant la première chose qui frappe dans Diamant noir, et qui le distingue d’emblée de la plupart des premiers longs métrages français: le soin qu’y met son auteur, Arthur Harari, à filmer les mains, à commencer par celles-ci, donc, qui sont celles de Niels Schneider. De l’acteur, vu chez Xavier Dolan ou Yann Gonzalez, on avait un souvenir flou – souvenir d’un visage surtout, avantageux et lisse, dans le genre chérubin. Il est ici transfiguré, et admirable, en zonard anxieux hanté par un trouble roman familial. Les mains sont comme l’oeil : précises mais abîmées, rongées par l’angoisse comme par la vie ouvrière (le personnage vivote en faisant des chantiers), déjà calleuses, lardées de coupures. Précaution rare, détail admirable que ces mains capables à elles seules de raconter le personnage – combien d’ouvriers aux mains trop lisses dans le jeune cinéma français ?

Le roman familial lui-même commence avec une histoire de main: celle du père, mutilée sur la meule où, enfant, on lui apprenait à tailler les diamants – c’est l’image mentale qui inspirera à Pier son scénario de vengeance. Il se clôt sur une main symétriquement sanglante, celle d’un père de substitution que Pier devra finalement trahir, trahissant du même coup son scénario de vengeance. Image réelle cette fois, et tout aussi douloureuse: la main caresse la joue de Pier et y dépose une traînée de sang qui est comme la marque de sa trahison. Ce geste en rappelle un autre, qui refermait le bien nommé La Main sur la gueule, moyen métrage superbe réalisé par Arthur Harari voilà près de dix ans: déjà la caresse d’un père sur la joue de son fils, et la caresse était en même temps un coup de poing. C’est dire si les mains intéressent Harari, d’autant qu’entre La Main sur la gueule et Diamant noir, un deuxième moyen métrage tout aussi beau, Peine perdue, s’ouvrait sur un autre genre d’habileté manuelle: une affaire de main au cul, à partir de quoi se dessinait un triste récit de séduction. Dans Diamant noir, une tentative moins habile donne lieu à une scène magnifique: dans une voiture, la main crispée de Pier tente de rejoindre celle de la fille, hésite, se crispe un peu plus, abandonne.

Entre les deux moyens métrages (tous deux très remarqués dans les festivals) et ce premier long qui a tardé (et que les festivals ont inexplicablement boudé), cette attention portée aux mains dit aussi une passion pour les gueules: gueules d’hommes taiseux et tourmentés, sous quoi couvent des passions violentes, gueules de voyous lustrées au Pento et aiguisées dans les bistrots, sur les chantiers ou en prison (ici exemplairement, dans le rôle du père de substitution, celle magnifique d’Abdel Hafed Benotman, mort à l’issue du tournage après une vie passée entre la taule et l’écriture de romans noirs). Si Harari revendique ici beaucoup d’influences anglo-saxonnes, de Shakespeare à De Palma, son inspiration a de ce point de vue quelque chose de très français, et il faut lui savoir gré de faire revenir dans le cinéma d’auteur cette mythologie loubarde qui, passée par Vecchiali, Nolot ou Pialat, avait fini par ne survivre presque que dans les rêveries viriles et vintage des Jacques Audiard ou Olivier Marchal.

Et si cette inspiration trouvait dans La Main sur la gueule et Peine perdue de parfaits petits écrins, à la fois modestes et méticuleux, Diamant noir lui ouvre, avec son riche scénario de film noir, une voie autrement ambitieuse et populaire. Ambition qui, là aussi, tranche avec les habitudes du jeune cinéma d’auteur français, lequel donne souvent l’impression de n’aborder le long métrage qu’avec les bagages trop légers du court. Elle peut d’ailleurs désarçonner un peu, tant le film cumule les registres et les tentatives, sans toujours toucher au but: on sent qu’Harari, empêché longtemps de passer ce cap du long auquel le destinait à l’évidence son talent, a forcé un peu les coutures, au risque de sacrifier quelques personnages et de condamner le film ici et là à perdre de sa belle homogénéité. Reste que Diamant noir est traversé d’un souffle romanesque et d’une puissance d’incarnation dont, à cet endroit de la production française, on avait tout bonnement fini par perdre la trace.

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