Drôle d’impression que celle laissée par Détective Dee, enquête digne des Mystères de Pékin (le jeu MB des eighties) menée par un fin limier sorti des geôles impériales pour déjouer un complot contre une impératrice de Chine sournoise et mégalo. Jubilation d’abord, de déguster une oeuvre purement récréative, sûrement la plus cinéphile de Tsui Hark depuis longtemps – un bon vieux wu xia pan des familles que pourrait présenter un Eddy Mitchell cantonais dans l’édition locale de La Dernière séance. Mais aussi l’impression un chouia régressive de se réjouir du petit film qu’a choisi de tourner le maître plutôt qu’un grand barnum épique. Non que l’on craigne de Tsui Hark qu’il donne dans le divertissement stalinien à la Zhang Yimou ; sa filmographie prouve le contraire, parsemée d’amorces de chef-d’oeuvre épiques qui sont autant de signes fugaces qu’un grand film fantôme flotte au-dessus du film moins grand qu’on nous donne à voir – Détective Dee a de la ressource, mais il a choisi, simplement, une autre voie, assurément plus modeste.

Comme son nom l’indique, il s’agit d’un film de détective, qui, par opposition au film policier, conduit le récit vers ses marges : on baigne ici dans l’officieux, le faux semblant, on choisit les trous de souris et les combines. Un super combat de gladiateurs commence ? Fausse piste : de l’affrontement, on ne verra que deux ou trois mouvements sublimes, la caméra préférant filmer en tribune un dialogue explicatif entre l’impératrice et Dee. Même feinte concernant les combats entre deux garnisons surpeuplées, menés hors champ. Que reste-t-il alors ? Une enquête foraine au pays du wu xia pan, ou la visite du genre par ses coulisses et ses soubassements, dans un esprit mi-farceur mi-terroriste : l’intérieur d’un Buddha géant, gros joujou numérique (néanmoins archi jubilatoire) dans lequel se trame et se résout la majeure partie des intrigues, un monde visqueux et souterrain, peuplé de créatures carnavalesques. Le film est moins une machine à grandes scènes (il n’y en a pas, ou presque), qu’une gigantesque boite à malices où bouillonne un maelström d’idées : magie blanche ou noire, un peu de fantastique (des cancrelats inflammables noirs et rouge vif), de la mystification maligne ou simplement rigolarde (le beau gosse Andy Lau déguisé en clochard de cinoche). Concentré de Tsui Hark ? Pas vraiment, bien que le film porte évidemment sa marque. Ebauche géniale tournée dans la frénésie stakhanoviste de l’industrie du cinéma de Hong Kong ? Non plus. L’affaire est bien plus complexe. En vérité, le cinéaste triture le projet depuis la seconde moitié des années 80, admettant la difficulté de trouver l’équilibre adéquat au script et une inspiration stylistique divergente d’Il était une fois en Chine, franchise voisine qu’il concoctait au même moment. Cette gestation difficile se voit un peu : le film n’est pas laborieux, mais il est torturé, tout en dérapages et en contrastes, trop boursouflé pour une série B (2h20), trop dérisoire pour une fresque. Sa manière de jongler avec les échelles renforce cette logique d’indétermination.

Détective Dee se conçoit comme une partie de bowling entre Gulliver et des Lilliputiens (la chute du Buddha à la fin) : on ne sait plus vraiment qui l’emporte, du lourd ou du léger, de la matière ou du numérique, des pulsions anarchistes du cinéaste (Dee est considéré comme le premier ennemi politique de l’impératrice) ou de son obligation de compromis (au nom de la Chine unie, il choisit le camp du régime). C’est sur cette ambiguïté que repose finalement l’explosivité du film et par extension, l’épanouissement de Tsui Hark dans un système qui le fragilise depuis dix ans. Si sur le fond il semble avoir rendu les armes, l’essentiel est sauf : il a toujours la forme.