Depuis Contrôle d’identité, coup de maître signé Christian Petzold, le nouveau cinéma allemand livre chaque année des oeuvres qui toutes questionnent les notions d’identité, de frontière, de groupe. Elles le font avec un goût prononcé pour un réalisme clinique qui quelques fois prend le risque d’un certain étouffement formel (cadres coupants, fixité cinglante, et parfois même quelque chose d’un rien désaffecté). Désir(s), le deuxième long métrage de Valeska Grisebach, tout en s’inscrivant dans ce courant réaliste, prend des chemins qui laissent espérer une ouverture à d’autres récits.

Un serrurier mécanicien, pompier volontaire, vit un amour paisible avec sa femme, jusqu’au jour où il s’éprend d’une autre femme sans cesser d’aimer la première. Ainsi se noue le mélodrame de Sehnsucht (qui, plus que par « désirs », pourrait se traduire par « aspirations »). Là où le cinéma français n’en finit pas de faire de la passion amoureuse un affect de classe, une petite sociologie tempérée, Valeska Grisebach reprend les choses là où les avait laissé Murnau dans L’Aurore, dans la simplicité d’un rapport entre deux termes. On retrouve la même opposition ville-campagne, mais à peine esquissée, rendue à son état d’anecdote, si bien que le film, sans pour autant désenclaver les situations de leur contexte (témoin les scènes de travail ou celle du banquet) figure la passion dans ce qu’elle a de plus absolu et de plus pur. Le réalisme du film, sa manière d’aplatir les symptômes apparents de la passion en les renvoyant dans le for intérieur des personnages, ne retient jamais ce sentiment d’un feu qui dévore. Cette sorte d’insensibilité du réalisme (montrer les choses telles qu’elles sont, dans leur silence civilisé, leur « laconisme » dit la réalisatrice) devient ainsi un puissant contrepoint à ce récit aussi sec que la passion et le désarroi des personnages sont poignants.

Pas question ici de figurer une énième et pauvre histoire d’adultère (ce que généralement on attend du réalisme). Par la grâce de subtiles ellipses ou de belles solutions de mise en scène (le surprenant épilogue), la cinéaste évite l’écueil de tout ce qui aurait rapidement pu être crapoteux ou renvoyer à des présupposés idéologiques. C’est qu’ici le réalisme le plus neutre avance main dans la main avec la mythologie, le caractère ancestral des choses. Le conte n’est jamais très loin, ni même d’ailleurs le théâtre antique (là encore, le « Choeur » du finale). Comme quoi le réalisme, avec sa manière décousue d’avancer, ses longues plages descriptives ou ses moments de mutisme éloquent, peut faire alliance avec des conceptions archaïques du récit. Rien que pour ça, Désir(s) est une très belle leçon de cinéma.

P.S. : Cerise sur le gâteau (comme on dit), le film nous offre une splendide reprise artisanale du mythique Eisbär de Grauzone, ce qui n’est pas rien.