Beaucoup moins connu qu’Abbas Kiarostami, Abolfazl Jalili n’en est pas moins l’un des cinéastes iraniens les plus intéressants, peut-être le seul vrai héritier du maître. Alors que Mohsen Makhmalbaf et sa fille sombrent dans le symbolisme facile et irritant (La Pomme, Le Tableau noir), Jalili élabore dans l’ombre et depuis quelque temps déjà -son premier long date de 1983- une oeuvre personnelle et radicale, à mille lieues du produit type Kandahar destiné à racheter la bonne conscience occidentale. Avec Delbaran, le cinéaste reprend son thème de prédilection -l’enfance opprimée- pour nous livrer comme à son habitude un récit épuré tout entier consacré à la lutte incessante de son jeune héros contre la menace que représente pour lui le monde des adultes. Car la filmographie de Jalili ne parle que de ça, d’histoires de petits garçon seuls contre leurs peurs enfantines (La Danse de la poussière), contre leur analphabétisme (Don) ou, comme ici, contre les autorités gouvernementales. Delbaran suit en effet les mésaventures d’un jeune Afghan recueilli par un couple d’Iraniens qui tient une auberge à la frontière. Sans papiers, le petit Kaïm tremble d’effroi à chaque visite du policier chargé de traquer les réfugiés clandestins.

Malgré la valeur exemplaire de chacun des sujets traités par Jalili, on aurait tort de réduire son cinéma aux seules visées pédagogiques, comme s’il était uniquement destiné à dénoncer la condition insupportable des enfants défavorisés. Certes, les films de Jalili peuvent répondre à ce critère mais leur intérêt principal est résolument ailleurs. Le simplisme des situations mises en scène, leur argument de départ réduit à chaque fois à son développement le plus élémentaire, permet finalement de soulager la charge narrative de ses films au profit du langage des images. Racontant en gros presque toujours la même chose, les longs métrages de Jalili sont avant tout des récits extrêmement graphiques où il est toujours question de mouvements et de mise en espace d’un corps oppressé. On retrouve ainsi dans Delbaran les fameux panoramiques du cinéaste sur les courses effrénées de son jeune héros et en cela le film ne déroge pas vraiment de l’esthétique générale de son œuvre. Un peu comme le Aniki de Kitano -film excellent en soi mais revu à la baisse au regard de l’ensemble des films du cinéaste dont il se contente de suivre sagement le mouvement-, Delbaran n’apporte aucun éclairage nouveau au cinéma de Jalili, pourtant toujours aussi beau.