Autant le dire illico presto, ce film-là a exercé sur nous l’exact opposé de l’effet probablement escompté, à savoir un énervement croissant en lieu et place de l’indicible émotion qu’il souleva, faut-il le croire, chez nombre de jurés cannois -d’où un grand prix, doublé de celui de la critique internationale. Histoire édifiante, familière des JT de 20 heures et prompte à faire pleurer Margot dans les chaumières (si seulement !) : un petit village paumé dans des neiges quasi kilimandjariennes est confronté à la perte de plusieurs de ses enfants, tués dans l’inexplicable accident d’un bus de ramassage scolaire. Les malheureux parents et rescapés se murent dans un autisme forcené, jusqu’au jour où débarque un méchant avocat bien décidé à faire la lumière sur l’affaire, pour mieux, surtout, résoudre ses propres problèmes de conscience.Voilà, nous dit-on, une œuvre terriblement pudique et poignante, racontant, selon les mots de l’auteur himself, « comment réparer les blessures de l’âme, et quels choix il faut faire pour y parvenir ». N’en jetez plus… D’accord, la mise en scène est très bien maîtrisée, propre, fluide, aseptisée, c’est un genre (très différent d’Exotica, soit dit en passant pour les fans de ce film un peu culte) -, mais enfin, les mouvements de caméra du ciel à la terre pour nous signifier le flottement des êtres après un tel choc, une fois, pourquoi pas, deux fois… Non, ce qui est par-dessus tout exaspérant dans ce film pavé de bonnes intentions, c’est sa propension exponentielle au fur et à mesure qu’il se déroule à nous dire : voyez comme je me la joue retenu et sensible, sans aucune complaisance ni effusions d’aucune sorte. Toujours sur le fil, quoi… Mais tout cela est si évidemment artificiel, si ostensiblement dé-montré, bref si peu naturel au « geste » du metteur en scène qu’on regretterait presque de ne pas avoir vu la même histoire filmée à Hollywood, version « Pleurer des rivières » !… Le procédé atteint son comble de supercherie dans le traitement de la double relation père/fille, l’une faussement traitée « en creux », l’autre, et c’est là le pire, abordant le sujet de l’inceste sous une forme « romantique » (dixit Egoyan), quasi irréelle, qui laisse, c’est le cas de le dire, un peu sur le cul. On l’aura compris, n’est pas Bergman ou Dreyer qui veut (ni même, plus proche de nous, Lars von Trier). Souhaitons quand même de beaux lendemains à Atom Egoyan.