Les mouvements in du fantastique contemporain (slasher cynique, comédie potache ou expérience psycho-sensorielle à la Kurosawa) avaient presque fini par nous persuader qu’il n’était plus possible de réaliser un film d’épouvante frontal, simple, efficace, non plus hors ou autour du genre mais en son coeur, dans sa sève, là où l’effet et la croyance supplanteraient toute notion de code et de motif, de réflexion ou de travestissement. Il n’est pas dit que Dark water impose quoi que ce soit de neuf au genre, non plus que Nakata soit un auteur au sens littéral. Oui mais voilà : très peu de films étaient parvenus, depuis Hypnose de David Koepp, à réactiver avec autant d’assurance et de maîtrise la certitude qu’un genre ne se porte jamais aussi bien que lorsqu’il travaille de lui-même, sur lui-même, affranchi de toute ambition de débordement de ses limites. En un mot : lorsqu’il se contente de travailler sur ses terres.

Avec Ring et sa séquelle, Nakata imposait un talent hors normes pour mettre en place une atmosphère de beauté délétère à partir de dispositifs très arty (effets de slow burn, implacable sens du cadre, pièges visuels en forme de toiles d’araignée sorties d’un rêve de designer appliqué), mais un scénario au bord de la puérilité montrait simultanément les limites d’un cinéma engoncé dans la vague adolescente post-Scream. Avec Dark water, le terrain se déblaie, le scénario s’épure, le travail de Nakata se radicalise. Intrigue minimale (une mère divorcée tente de conserver la garde de sa fillette), effets simplifiés à l’extrême (une sorte de manifeste exponentiel du slow burn), décors oppressants (un appartement niché au cœur d’un immeuble sombre et désaffecté). Après quelques minutes d’exposition, la tension monte, très vite, pour ne plus lâcher le moindre plan. Tout le film s’emploie à resserrer ses compartiments et à effacer toute trace d’extériorité pour ouvrir sur un espace clos, faussement ouaté, toujours au bord de la rupture et de l’effondrement. La réussite de Dark water tient dans sa façon de se contenter d’une équation simple (absence du père = apparition des fantômes et montée des eaux) pour tirer de ce champ ultra-réduit non un minimum syndical -la base de tout produit calibré- mais une sorte de labyrinthe de sensations renouvelables à l’infini.

Dark water ressemble à un conte de fées dont le loup serait absent, où seule la solitude de lieux sortis d’un vénéneux cauchemar suffiraient à créer la matière de l’envoûtement. La terreur quasiment insoutenable provoquée par certaines séquences vient moins d’une menace extérieure (le fantôme ici n’est plus qu’une projection, une vision intermittente, son origine importe peu) que de l’indissoluble étrangeté provoquée par une situation déréglée, indécise, en attente (la résolution de l’acte de divorce qui ne vient pas). Nakata enchaîne les effets de lenteur, de suspension et de dilatation avec une telle maestria que toute impression de douceur devient chez lui prétexte à la mise en tension du spectateur, entre faux apaisement et inlassable montée de l’angoisse. On songe beaucoup ici à La Maison du diable de Robert Wise. De l’un à l’autre, la même capacité d’enchantement et de terreur, d’envoûtement et de magie, le même espoir renouvelé en un cinéma de la pure croyance.